West Coast et Wildschooling
Mai 2017. Wow ! La côte ouest de l’Écosse est tout simplement à couper le souffle et le road trip un beau moyen d'aller à sa découverte. Une sensation d'immensité nous envahit à mesure que le pays se fait montagneux et les lochs toujours plus nombreux. Dans ces terres, l'âme peut voler librement. Nous passons une douce soirée au bord d'un loch tandis que les garçons jouent à Premier de Cordée. Notre mode de vie actuel leur permet peu de jouets, peu de vêtements, en somme peu de possessions, mais en revanche leur garantit davantage de simplicité, de liberté et de créativité. Ils jouissent de ce temps béni de l'enfance. Ils sont heureux. L'être a remplacé l'avoir.
Je ne peux que reconnaître que sans les chiens le voyage eut été très différent. C'est qu'afin de répondre à leur besoin d'exercice mais aussi de jeux, de découvertes et de liberté, bref de vie, nous nous arrêtons plus fréquemment, dès qu'un coin nous semble propice. Nous roulons le regard fureteur, en quête de lieux libres de clôtures et de moutons et qui appellent à la marche. Et nous voilà partis, non pas à travers champs, mais à travers la bruyère, au milieu de nulle part et loin de tout sentier. Rapidement le sol se révèle très spongieux et nous nous lançons dans une parodie de Bear Grills / Man Versus Wild : "Nous sommes ici dans un des lieux les plus hostiles de la planète. Un pas de côté et vous pouvez vous rompre les jambes dans un gouffre. Un pied mouillé et en moins d'une heure c'est le pourrissement. Nous sommes seuls face à la nature." Nous continuons hilares, la larme à l'œil, déjà oublieux de notre précédente mésaventure. Un bruit d'eau nous guide, la chanson d'un torrent tumultueux nous emmène vers la mer. Nous découvrons une baie de galets roses aux eaux turquoises et transparentes. Nous sommes immanquablement attirés par un promontoire rocheux un peu plus loin, puis par un autre plus imposant et ainsi de suite. Nous voilà tout-à-coup en train de sauter au dessus d'une faille, un mètre de large tout au plus mais bien davantage en terme de profondeur et les chiens ne nous suivront pas. En dessous, l'eau cristalline clapote doucement. Puis nous nous en retournerons en pataugeant - les chaussures en Goretex ne seront pas de trop - et dévorés par les midges qui ont déjà faits leur réapparition.
Nous croisons çà et là des troupeaux de cerfs ainsi que tout ce qui fait le charme de l'Ecosse, notamment des châteaux, en ruine suite à de vains combats : là la demeure des Macleod, ici celle des Mackenzie. Callista qui a l'habitude d'étudier pendant les trajets, partage avec nous ses lectures. Nous débattons agréablement et notre road trip prend alors des allures de Captain Fantastic.
Puis, le Château-Ambulant à sec et ayant tous les cinq désespérément besoin d'une douche, nous nous résolvons à passer notre première nuit en camping. L'ambiance y est décontractée et tournée vers l'aventure. Au petit matin, une grive musicienne peu farouche chante à tue-tête tandis que les premiers canoës glissent silencieusement vers la brume.
En continuant vers le sud, nous passons des vallées où poussent des séquoias géants et des rhododendrons aussi sauvages que fleuris. Cette vision ne rend que plus criante la rareté des arbres dans le reste de l'Ecosse. Et tandis que nous roulons à travers les paysages nus et désolés, peuplés par la multitude des moutons, des lapins et des cerfs, je me prends à imaginer le retour du loup dans ses anciennes contrées. Je ne doute pas que le loup pourrait ici aussi changer le cours des rivières. Il régulerait les populations d'herbivores, peu à peu bouleaux et pins calédoniens croitraient, les forets redessineraient l'espace, les oiseaux sylvestres reviendraient, les racines sculpteraient les berges... Mais le dernier loup est mort depuis longtemps et les moutons sont partout. Les clôtures ferment l'espace au promeneur solitaire. Et moi je ne mange pas les moutons.
Des phoques joueurs me sortent soudain de ma rêverie : ils vont, bondissants et joyeux pendant que d'autres se prélassent sur la roche. Quelques uns plantent leur regard dans le mien tandis que j'abaisse l'appareil photographique pour les contempler à travers mes propres yeux. Je mesure ma chance, mon immense chance de rencontrer l'œil de tant de créatures sauvages, comme si ce regard m'importait davantage que celui de mes semblables dont j'apprends peu à peu à me libérer.
Au loch suivant, des hordes de midges littéralement assoiffés de sang fondent sur notre petite équipée. Nous nous rabattons vers le Château mais ils nous suivent à l'intérieur. Les moustiquaires classiques ne sont visiblement pas un obstacle pour eux. Nous fermons les fenêtres, ils continuent d'entrer. Dernière solution : l'extinction précoce des feux. Bugger off ! comme jure mon grand-père depuis que je suis toute petite.
Nous continuons de descendre doucement vers le sud. Le ciel est nuageux mais la lumière magnifique : la mer semble d'argent pur. Comme nous nous engageons sur une toute petite route, un panneau nous met en garde : route dangereuse en cas de vent fort. La tendance est plutôt à la brume donc nous ne nous sentons pas alarmés. Il me semble également avoir vu un panneau interdisant l'accès aux caravanes. Le temps de discuter si nous sommes concernés ou non avec notre camping-car, nous sommes engagés sans possibilité de faire demi-tour. Quant au GPS il indique "accessibilité inconnue". Voilà qui est rassurant... La vue doit être superbe mais au fur et à mesure que nous montons, la brume se transforme en un brouillard de plus en plus épais. Bientôt nous ne voyons plus à trois mètres. A intervalles réguliers, des cyclistes transis semblent surgir du néant. Nous roulons au pas. La route est très étroite mais un système de passing places permet de croiser des véhicules. Peu à peu, la file des voitures s'allonge derrière nous (quant à l'ego de Yoann, il rétrécit proportionnellement...) et vient le moment tant redouté : la passing place ne permet pas à toute notre file de se mettre de côté pour laisser passer les véhicules venant en sens inverse. Tout le monde - déjà une bonne dizaine de voitures il me semble - est immobilisé au milieu de l'épais brouillard. Si la honte pouvait tuer, je crois que je n'aurais pas survécu. Si j'avais pu disparaître, je n'aurais pas hésité. Nous nous préparons à nous faire agonir d'insultes. Ce serait légitime et en France on nous aurait déjà hurlé d'aller camper dans notre jardin. Mais nous sommes en Ecosse. Et le flegme britannique n'est pas un vain mot. Les automobilistes sont souriants ! Quelques uns sortent de leur véhicule pour faire la circulation et demander à chacun d'avancer ou de reculer de quelques centimètres jusqu'à ce que finalement, au bout de ce qui me paraît une éternité, la situation se débloque et que chacun se salue avec force bienveillance avant de continuer son chemin. Le cœur débordant d'amour pour les écossais, je ne reprendrai toutefois ma respiration que de l'autre côté de la montagne mais plus aucun incident ne viendra émailler la traversée.
Nouveau bivouac au milieu d'une forêt de sapins, après avoir rencontré la plus majestueuse des vaches - encore que ce terme ne convienne pas vraiment aux fières écossaises que sont les Highland Cattle. Tandis qu'elle marchait dignement sur l'asphalte, ronde de son petit à naître, son poil roux lui faisait comme une houppelande qui se serait balancée au rythme de ses pas. Un peu plus loin, un nouveau-né se dressait déjà solidement près de sa mère. Ce soir, nous goutons une Skye Gold, à chaque campement sa bière !
Le lendemain, le cœur empli de l'ouest écossais, nous passons le pont qui mène à la célèbre et incontournable île de Skye. L'ambiance change aussitôt, c'est presque palpable. Les passionnés d'outdoor et de nature silencieuse sont remplacés par des hordes de touristes - oui des hordes, exactement comme les midges. Ici les femmes ne portent plus de chaussures de marche mais des escarpins, des japonais se déversent des autobus et avec les chiens-loups au bout des longes, nous sommes à nouveau la cible des photographes. Même avec la meilleure volonté du monde, nous ne trouverions pas de place où nous garer au départ des sentiers de randonnée. L'île de Skye est victime de son incomparable beauté. La presse étrangère témoigne de l'invasion touristique que subissent les coins les plus spectaculaires d'Europe, Skye comme Barcelone. Le touriste n'y est plus le bienvenu clament les pancartes des habitants. Alors demain, comme à notre habitude, nous prendrons la tangente, chercherons des oasis et des interstices, ces lieux et ces chemins qui échappent encore aux masses et ont pu préserver un peu de leur mystère et de leur secret. Mais en attendant, il nous reste un soir. Un soir, merveilleusement installés dans un recoin paisible face au soleil couchant sur les Hébrides. Seuls quelques moutons observent nos faits et gestes.
Sans rien dire, Milan entreprend de rassembler des combustibles, forme une petite pyramide d'herbes sèches et de petit bois au milieu d'un cercle de pierre et retourne discrètement au camping-car. Il revient avec sa boîte d'allumettes, en craque une, allume une poignée de fougères séchées et l'ensemble s'embrase sans peine. Le 25 mai 2017, à trois ans, Milan a allumé complètement seul son premier feu. Il rayonne de joie, de fierté et de confiance en lui. Un peu plus tard, il me confiera : "Tu sais maman, être grand c'est quand on sait allumer des feux, monter à cheval et lire." Un mois plus tard il allait faire sa première sortie à cheval "sans que tu me tiennes" et exiger (le mot n'est pas trop fort) que je lui apprenne à lire. Il n'allait lui falloir que quelques instants pour comprendre le mécanisme de la combinatoire, quant aux lettres et à leur chanson respective, c'était acquis depuis longtemps par simple imprégnation : il avait vu son grand frère apprendre à lire. Alors, peut-être parce qu'il s'est enfin senti rassuré, lui le petit dernier, de ne plus être "petit", nous avons vu son tempérament colérique, aussi exigeant envers nous qu'envers lui-même, enfin s'apaiser.
Nous terminerons la soirée sur le toit de notre château-ambulant, notre ultime refuge, la plus minuscule des oasis mais nous y trouvons toujours la beauté, la sérénité et le silence - ou les fausses notes d'une flûte.
Merci de m'avoir lue, Titania - A Midsummer Night's Dream
Auriane
octobre 20
J'ai beaucoup de choses à dire mais aucun mot ne s'écrit.
Votre phrase "Ils jouissent de ce temps béni de l'enfance. Ils sont heureux. L'être a remplacé l'avoir." m'a fait écho. Cela m'a rappelé mon enfance, ou j'avais certes des jouets, mais lorsque j'étais dehors, l'environnement était mon terrain de jeu et mon imagination faisait tout. J'en étais heureuse. Vos enfants s'épanouissent énormément avec ce road-trip et c'est fabuleux.
" "Tu sais maman, être grand c'est quand on sait allumer des feux, monter à cheval et lire." " C'est phrase est tellement simple et profonde. Milan est un garçon merveilleux (et je ne le connais que par vos mots) il apportera beaucoup au Monde, tout comme Callista et Mallory.
Merci encore pour ce partage et ces sublimes photos qui font chaud au cœur et font sourire. Merci.
titania
novembre 1
Merci Auriane, décidément on se rencontre sur de nombreux sujets. Ça a été un des grands bienfaits de ce départ, s'alléger, s'alléger matériellement, aussi bien nous que les enfants qui ont donné leurs affaires de bon cœur. Ils ont quand même emmené quelques kilos de playmobils et leur imagination semble intarissable !
Lau
octobre 20
Les photos sont superbes, celle de Milan avec son bonnet est splendide, & c'est mon article préféré 🙂
titania
novembre 1
Merci Laure pour ton petit mot qui fait bien plaisir !!
rault
octobre 20
merci pour ce beau voyage par vos superbes photos et et votre plume toujours aussi belle !!
titania
novembre 1
Oh merci pour ces compliments !!
Oceane
octobre 20
Une enfance heureuse, simple et remplie de découvertes qui les font grandir chaque jour un peu plus!
Comme toujours les photos sont extra les 2 petits allongés, j adore, j adore ce côté libêtre et communion avec la nature...loin de toute technologie...
titania
novembre 1
Merci Océane !! Ah je crois que l'enfance est un de mes sujets photographiques de prédilection, un peu comme toi. Une façon de témoigner des enfances encore possibles aujourd'hui...
Yañig
octobre 20
Je ne sais plus que dire. Mes yeux mon coeur sont encore là bas vos mots les y ont transporté.
Je n'ai pas de mots Metci pour ce voyage
titania
novembre 1
Merci Yvette, pour moi qui écris, ce que vous avez ressenti est la plus belle des récompenses...
Angélique Biller
octobre 20
Je rejoins tout ce qui est dit dans les commentaires précédents... Quelle émotion tu partages avec nous, et quelle beauté! Les mots de Milan m'ont mis les larmes aux yeux! Ils sont toujours tellement magiques vos enfants! Comme c'est précieux de nos jours...! Quand tu écris "merci de m'avoir lue", si tu savais comme c'est moi qui te remercie d'avoir écrit tout ça!
titania
novembre 1
Merci Angélique, les émotions d'une maman d'autres enfants magiques me sont très précieux, ça nourrit mon coeur...
Coraly
octobre 21
MERCI tout simplement <3
titania
novembre 1
C'est moi 💜