Une magicienne nous a quittés

Une magicienne nous a quittés


"Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries." Le Petit Prince - Antoine de Saint-Exupéry

 31 mars 2017

Aujourd'hui Hope est morte.

30 mars 2017

Aujourd'hui a été une des plus belles journées qu'il nous a été donnée de vivre depuis longtemps. Soleil printanier, plage déserte, océan tumultueux, et cette sérénité ! L'harmonie qui surgit quand on est à sa place, en accord avec soi-même et le monde qui nous entoure.

Fin de journée : le réseau fait des siennes en ce lieu perdu, mais nous accédons enfin à notre messagerie. Il y a un problème avec les chevaux. Le cœur qui se serre. Un pressentiment terrible. Je saisis des bribes de la conversation tandis que Yoann est au téléphone. C'est Hope. C'est plus grave que prévu. Fracture des vertèbres. Paralysie des postérieurs. C'est un mystère. Autrement pas une égratignure. A ce stade, vous avez sûrement déjà deviné l'issue. Pas moi. Je hurle en silence. Noooooon. Noooooooooooooooooon !!! Tout mon être refuse, se dresse, se rebiffe. Je vais me réveiller. C'est juste impossible. La douleur est trop grande, elle me laboure l'âme, elle réveille d'autres deuils, de personnes humaines ou animales. Je porte sa fatale destinée comme un fardeau. Et si, et si... Et si j'avais fait d'autres choix, serait-elle encore en vie ? Et tant de questions : pourquoi elle ? Pourquoi nous ? Comment ? Comment un cheval peut se blesser ainsi ? Je suis en chute libre.Yoann est d'un calme impressionnant. Il donne l'ordre de l'euthanasie. Je tombe malade.

J'aurais voulu être tranquille avec mon chagrin, seule à seul avec lui. Mais je suis trop malade. Je ne dors plus. Hébété par la douleur et le manque de sommeil, j'erre dans le brouillard, le chagrin relayé à la périphérie de ma conscience où il reste embusqué dans l'ombre comme un monstre prêt à fondre sur moi. Pendant des jours, je sens sa présence, je la redoute mais peu à peu je me fais à lui. On s'apprivoise. Je sais que quand j'émergerai de l'état second dans lequel je suis plongée, je devrai lui faire face en pleine lumière.Au bout de trois jours et trois nuits, je me lève, prend une douche, me coiffe et m'habille : je suis prête. Pas très vaillante, mais prête.

Hope est morte. Tout en haut de la montagne. Au point le plus élevé du domaine, près de la clôture nord et des deux grands pins qui marquent l'arrête sommitale, près de la dernière frontière. Ca lui ressemble bien. Robin a passé sa dernière nuit avec elle, veillant, veillant sur elle, allumant des feux pour la protéger des animaux sauvages. Elle est enfin sereine, elle n'a pas mal. Demain, après le passage du vétérinaire, les vautours l'emporteront encore plus haut, tout en haut, dans le ciel. Les vautours, symboles des grands idéaux pour les amérindiens. Ca lui ressemble bien.

Hope est morte, le jour de l'anniversaire de Yoann. Il n'a pas pleuré, il n'a pas hurlé. Il a pris soin de moi pour oublier son chagrin. Il savait. C'était Hope, c'était sa jument, et cette fin était inévitable. Elle était trop belle et trop sensible pour ce monde. Même si son nom était porteur d'espoir.

Hope est morte. Désormais elle court librement dans les verts pâturages tout là-haut. Elle n'a plus mal. Elle a fait le grand saut. C'est toujours plus difficile pour ceux qui reste.

Hope est morte et je suis sereine. Pas résignée, sereine. Je me reprochais d'être loin et d'être heureuse lorsque c'est arrivé. Mais je songe : peut-être est-ce pour cela qu'elle a choisi ce moment. Peut-être n'est-ce pas tout-à-fait un accident. Peut-être était-elle prête. Peut-être a-t-elle choisi. Elle avait fait tant de chemin cette petite étoile filante, cette magicienne porteuse de tant d'idéal. La sérénité ressentie ce 30 mars, peut-être nous a-t-elle aidé à voir la beauté de la mort de Hope et non sa grotesque laideur. Car Hope est morte... comme une reine. Sans une égratignure, sans une plainte, au sommet de sa beauté et de la montagne. L'Absolu était en elle. Et elle l'avait partagé avec nous. 

Mais Hope a aussi vécu. Deux années. Ce n'est pas le nombre qui compte quand on vit intensément.

Elle est descendu le 6 aout 2016 de l'avion en provenance du Canada. Belle, élégante, aérienne, le regard intense et les yeux cerclés et exorbités. "Elle a besoin de voir", ce sont les premières paroles du groom qui l'a accompagnée le temps de la traversée. Arrivée dans nos montagnes, elle peut enfin regarder... à 360 degrés. Et elle regarde ! Et elle court ! Sans s'arrêter. Pas même le temps d'avaler sa ration. Elle prend une bouchée. Court. Revient. Prend une nouvelle bouchée. Court à nouveau. Revient vers nous. Souvent jusque dans nos bras. Ce n'est pas de l'irrespect bien qu'il lui arrive de nous bousculer fortement. C'est plutôt qu'elle ne semble pas bien connaître les limites de son corps. Tout est trop rude pour la délicate Hope, de son vrai nom Obsessive Emotion... Elle ne supporte que les brosses douces, ou des caresses légères de la main, presque sans la toucher. Tellement touchante. Pendant des jours, elle regarde, court et bouscule ; regarde, court et bouscule.

Puis peu à peu elle change. Parvient à rester immobile le temps de son repas. Puis à vivre au rythme des autres chevaux. Style, la plus stable de nos juments, l'a prise sous son aile et elle noue dans le même temps une belle amitié avec Sheryl, la dernière arrivée. Tous les chevaux se montrent indulgents à son égard.

Puis un jour, la voilà qui commence à se montrer agressive. Lorsqu'elle nous voit avec un bâton à la main, par exemple le manche de la fourche, elle nous charge. Peu à peu, elle refuse tout contact, et répond à nos approches en menaçant de mordre ou de frapper. A moins d'être licolée : alors elle est complètement différente, se laisse mener, brosser, parer.

Nous acceptons l'étrangeté d'Obsessive Emotion. Certes elle porte bien son nom, tellement émotive, tellement obsessive, mais pour nous elle est Hope et nous sommes plein d'espoir. Nous décidons de laisser faire la Nature, les grands espaces, la vie de troupeau. Nous décidons de lui laisser du temps et de faire à sa manière. Elle ne veut pas de contact, c'est ok. Il nous semble normal de respecter sa volonté. Nous la laissons donc prendre l'initiative des interactions. Mais nous sommes là, toujours fiables et constants. Nous décidons enfin de la faire voir à une amie, guérisseuse, accoucheuse, communicatrice animalière et bien plus encore, à laquelle nous faisons appel à chaque fois que nous sommes dans une situation qui nous dépasse. Hope reçoit des soins et peut s'exprimer. De notre côté nous pouvons enfin la comprendre et  comprendre son histoire.

Et Hope évolue encore. Désormais, elle ne nous bouscule plus. Son œil s'apaise visiblement ainsi que tout son être. Elle s'ouvre. On apprend à interagir avec elle, essentiellement dans le non-agir et le respect complet de sa volonté. On est là pour elle, quand elle vient. Ce qui arrive de plus en plus souvent. Et on l'aime. Sans limite. C'est à nous qu'elle fait faire du chemin désormais ! Il a fallu trouver le rythme juste pour l'apprivoiser. Se mettre au diapason de sa propre vibration.

17 mars 2017

Nous ne le savons pas encore, mais nous voyons Hope pour la dernière fois.

Elle est désormais dans les Cévennes avec le troupeau, chez l'éleveur qui prend soin de nos chevaux pendant notre voyage. Malgré le licol, ils n'ont pas pu lui faire les soins administrés aux autres chevaux. Nous profitons donc de notre visite pour la panser, la traiter pour les tiques, la parer. Elle est d'une bienveillance incroyable à notre égard. Malgré les progrès des derniers mois, jamais elle ne s'était montrée aussi douce et paisible en notre présence. J'en suis toute retournée.

Et c'est à ce moment que je vois notre petit Milan, âgé de trois ans seulement, s'approcher de Hope, passer derrière elle tout contre ses postérieurs, une main caressant les membres puis s'attardant dans la queue. Trop tard, je ne peux rien faire. Le temps s'arrête. Je ne respire plus. La suite semble inévitable... Mais rien ! Hope n'a pas bougé ! Comme si c'était absolument naturel qu'un petit enfant de trois ans viennent jouer dans ses pattes.

Aujourd'hui je me demande : était-ce son cadeau d'adieu ? Ou avait-elle seulement besoin de la caresse sans peur et pleine d'amour d'un enfant innocent pour comprendre qu'elle était prête ...

30 avril 2017

Nous sommes de retour en France. Un mois s'est écoulé depuis le décès. Il est temps d'aller se recueillir sur la tombe de Hope pour un dernier adieu, tout en haut de la montagne, près des deux grands pins et de la frontière nord. Pendant l'ascension, un vautour vient tourner au dessus du sentier. Les moldus diraient : rien d'étonnant, il y en a plein dans la région et puis il a encore le souvenir de son dernier repas. Mais moi je préfère y voir un signe de Hope nous montrant le chemin.

Enfin nous sommes en haut. Hope est là. Ses couleurs intactes. Le poil doux et chaud au soleil. Parfumé. Elle repose sur un tapis de jonquilles sauvages.

"- Ah ! tu es là...

Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :

- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai...

Moi je me taisais.

- Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.

Moi je me taisais.

Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces..."

Le Petit Prince - Antoine de Saint-Exupéry

 Après Hope, l'Espoir.

 

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Le temps de vivre

 

Il a dévalé la colline

Ses pas faisaient rouler des pierres

Là-haut entre les quatre murs

La sirène chantait sans joie

 

Il respirait l'odeur des arbres

Il respirait de tout son corps

La lumière l'accompagnait

Et lui faisait danser son ombre

 

Pourvu qu'ils me laissent le temps

Il sautait à travers les herbes

Il a cueilli deux feuilles jaunes

Gorgées de sève et de soleil

 

Les canons d'acier bleu crachaient

De courtes flammes de feu sec

Pourvu qu'ils me laissent le temps

Il est arrivé près de l'eau

 

Il y a plongé son visage

Il riait de joie il a bu

Pourvu qu'ils me laissent le temps

Il s'est relevé pour sauter

 

Pourvu qu'ils me laissent le temps

Une abeille de cuivre chaud

L'a foudroyé sur l'autre rive

Le sang et l'eau se sont mêlés

 

Il avait eu le temps de voir

Le temps de boire à ce ruisseau

Le temps de porter à sa bouche

Deux feuilles gorgées de soleil

 

Le temps de rire aux assassins

Le temps d'atteindre l'autre rive

Le temps de courir vers la femme

 

Il avait eu le temps de vivre.

 

Boris Vian, L'Evadé (1954)

 

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Commentaires

  1. Lucie

    juin 20

    Nous sommes passés quelques heures dans la vie de hope, je suis triste d'apprendre cette nouvelle....une jument qui nous a marqué par sa beauté, son calme....et ce regard!

    • titania

      juin 26

      Oui c'est vraie, elle est passée quelques heures dans votre vie <3 Encore merci pour la façon dont vous l'aviez accueillie...

  2. Océane

    juin 20

    Oh je ne sais quoi vous dire.... ton histoire me touche... hope aura eu un joli passage sur notre terre. Texane est très douce avec les enfants je pense qu ils savent que le petit être à proximité ne leur veut pas de mal ne leur demandera rien...ils se voient d égal à égal
    Quel merveilleux choix que le petit prince....❤❤

    • titania

      juin 22

      Oui il se joue quelque chose de merveilleux entre les chevaux et les enfants. J'ai toujours peur pour leurs petits pieds etc quand ils circulent dans le troupeau et s'occupent d'Antara (pansage en liberté toujours), mais jamais rien, il ne bouge pas d'un poil, fait tellement attention à eux <3 ... Hope était ainsi...

  3. Justine

    juin 20

    Magnifique hommage pour une sublime jument je suis triste pour vous et cette jument ! Vous nous faite rêver rire sourire mais aussi pleurer tant d'émotion qui ce dégage de vos textes et photos merci de nous offrir cela.
    Elle est au paradis des chevaux et veille sur vous .

    • titania

      juin 22

      Merci infiniment !! Rêver, rire, sourire, pleurer... en fait c'est la Vie !

  4. Anne

    juin 20

    Merci pour ce récit que d'émotions reviennent à la perte de mon cheval quelle beauté nous a quitté elle fait partie de vous. Ces moments uniques sont gravés à jamais

    • titania

      juin 22

      Oui elle fait partie de nous. Il y a eu un avant Hope et un après Hope, sa vie comme sa mort ne nous ont pas laissés indemnes, on en est forcément ressorti grandis...

  5. Auriane

    juin 21

    C'est encore avec beaucoup d'émotions que j'écris ces mots. Hope vous a apprit tellement de choses, elle était sur Terre pour cette raison et je pense qu'elle est heureuse de son passage parce qu'elle vous a vu vous adapter, apprendre et découvrir une autre approche du cheval, de l'animal. Merci d'avoir partager ce texte avec nous, cela n'a pas du être facile ou au contraire cela a été "facile". Merci.

    • titania

      juin 22

      Mon dieu oui, elle nous a tant appris ! Aller vers toujours plus de réceptivité, d'empathie, de lâcher-prise. On ne peut qu'essayer de se montrer à la hauteur de son sacrifice, faire en sorte que tout n'ai pas été vain... Et je crois pouvoir dire que de son côté elle a également évolué au delà de toute espérance, physiquement bien sûr en vivant dans la montagne, mentalement aussi mais je crois même "spirituellement" (je ne sais pas comment le dire autrement)

  6. anne

    juin 21

    Bonjour. je suis désolée de votre perte.
    Nous ne nous connaissons pas, mais j'avais pris contact avec vous dans l'espoir de pouvoir un jour acquérir un poulain de votre élevage. C'est pour cela sans doute que je suis tombée sur votre blog. Je ne voulais pas le lire, parce que ça me semblait très personnel et que je ne voulais pas connaître votre vie intime . Mais voilà, je n'ai pas pu m'arrêter de lire et me voici en bas de la page. J'ai été happée par votre sensibilité au monde et votre plume magnifiques.
    Votre texte dépasse votre propre expérience, et sans vous connaître, sans la connaître, j'en ai pleuré. Ce n'est pas cette histoire qui amène l'émotion. Car pour un étranger elle aurait tout d'un fait divers sordide ; c'est la triste beauté que vous avez attaché à l'histoire de cette jument et à la votre. Cela sera sans doute une maigre consolation, mais c'est aussi grâce aux mots que l'on perçoit et que l'on fait vivre la magie du monde. Grâce à eux nous gardons notre regard d'enfant. Vous lui avez fait le plus beau des hommages, en partageant ce texte. Pour moi aujourd'hui, Hope est éternelle.

    • titania

      juin 22

      Vous m'avez touchée en plein cœur, je ne sais que dire, hormis merci, un immense merci pour elle, pour nous...

  7. Thilda Lehacque

    juin 22

    Beaucoup pleuré en lisant ce texte. Certains êtres traversent nos vies comme des étoiles filantes. Ils sont venus près de nous avec peut-être quelque chose à vivre, à consumer, à libérer , et ils ne nous laissent pas indemnes. Leur beauté, leur jeunesse, leur intolérable disparition ouvrent notre coeur à la Vie ...

    • titania

      juin 22

      Oh c'est toi qui va me faire pleurer maintenant, tu m'as tellement comprise, et tu l'as tellement comprise...

  8. Marzia

    juillet 30

    Belle Hope ❤ elle suscite tellement d'émotions.. En te lisant j'ai les larmes qui montent.. Elle m'avait tant touché sur les photos.. Je comprends son ressenti face à ce monde, ce n'est pas simple d'être hypersensible mais elle était dans la famille parfaite qui lui a donné la seule chose dont elle avait besoin : de l'Amour inconditionnel.

    • titania

      août 1

      Merci beaucoup pour ton message Marzia <3 Oui en fin de compte, Obsessive Emotion portait bien son nom...

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