L’amour de la vie

L’amour de la vie


"Qu'est-ce que la vie ? C'est l'étincelle d'une luciole dans la nuit. Le souffle d'un bison en plein hiver. C'est semblable à une petite ombre qui court sur l'herbe et se perd dans le couchant." Crowfoot (Blackfeet)

"Quand vient l'heure de mourir, ne sois pas comme ceux dont le cœur s'emplit de la peur de la mort et qui, lorsque leur temps est venu, pleurent et prient pour avoir un petit peu plus de temps pour pouvoir vivre autrement leur vie. Chante ton chant de mort, et meurs comme un héros qui rentre chez lui." Aupumut (Mohican)

"Nous avons bu tant de rosée/ En échange de notre sang/ Que la terre cent fois brûlée/ Nous sait bon gré d'être vivants." François Cheng

            "La seule manière d'être dignes de nos morts, c'est d'aimer la vie !" (F. Cheng) Aimer la vie infiniment... La mort, bannie de nos sociétés, est revenue nous rappeler en force -avec  la trajectoire fulgurante de Hope- de vivre intensément, car qui sait combien de temps est imparti à chacun. Ce n'est pas triste. C'est même infiniment joyeux. "Apprendre à vivre en temps de paix, avec la même intensité qu'en tant de guerre" répétait un vieil ami de mes parents qui avait connu les bombardements, la saveur d'un café qui pourrait bien être le dernier, ou celle d'une conversation avec un ami qu'on écoute peut-être pour la dernière fois.  "Il est bon d'avoir devant nous un rappel de la mort, car cela nous aide à comprendre l'impermanence de la vie sur cette terre, et cette compréhension peut nous aider à nous préparer à notre propre mort." Black Elk

L'impermanence de la vie. Le grand saut de Hope il y a trois mois. La naissance du poulain de Sunny dans quelques jours (nous sommes de retour parmi les chevaux pour ce grand événement). La mort. La vie. La renaissance. Chaque jour aller caresser le poulain à naître. A ce stade de la gestation, il est désormais trop à l'étroit pour donner ses vigoureux petits coups de pieds, mais répond à notre présence en venant se lover dans notre main. Instants précieux et miraculeux. Penser à ce petit être paisible qui bientôt éprouvera l'ivresse de galoper sur ses longues jambes graciles. Les jours d'attente s'égrènent doucement, rythmés par la torpeur des heures de grande chaleur et la fraîcheur vivifiante de la nuit.

Le parfum des chèvrefeuilles sauvages. Les envolées de papillons sur le sentier poussiéreux et celles des chevreuils dans la garrigue. Sunny croquant des boutons de Chardon-Marie aux derniers jours de sa gestation. "Marie" en référence à la vierge qui selon la légende aurait caché l'enfant Jésus sous un bosquet de chardons pour échapper à Hérode et là lui aurait donné le sein. Quelques gouttes de son lait tombèrent sur les feuilles, d'où les nervures blanches. Peut-être est-ce pour cela que l'on raconte traditionnellement que cette plante favorise la lactation ! Que savent les chevaux des légendes ?

Les cieux qui s'embrasent à la tombée du jour. Et dans l'obscurité, quelques lucioles comme autant d'étoiles tombées du ciel. Souffler sur des pissenlits. Dévisager un phasme. Le matin, lever ses yeux vers le ciel et contempler le vol du Circaète Jean-le-Blanc avec parfois une couleuvre au bec. Etre dehors tout le jour. Les chiens apprécient leur liberté.

Avant la chaleur, la tournée des chevaux. Une parole pour chacun. Les gestes simples et répétés. L'attention portée un à un. Puis le petit déjeuner à l'ombre du grand chêne aux feuilles ciselées. Le laisser s'étirer. Nous ne sommes pas pressés. De discrets petits oiseaux chantent à tue-tête sous les frondaisons. Refaire le monde. Partager nos lectures ou nos pensées. Combien de nos idées ou projets sont nées autour d'un thé matinal ? Ce matin, comme en écho aux enseignements de Hope, une interview de François Cheng, ce poète et académicien qui s'est laissé terrassé par la beauté. La beauté d'un nuage ou celle d'un arbre. Hanté par les ermites, se qualifiant lui aussi d'errant -un homme en marge et en quête-, n'ayant de cesse de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l'univers vivant : d'un côté, le mal ; de l'autre, la beauté (Inexploré, juin 2017). Pour lui, la mort n'est que le début de "la vraie vie". Bref, le petit-déjeuner, ce moment clef, informel et jamais programmé de "l'instruction en famille". Les enfants y piochent et y participent à volonté, chacun à sa manière. Les enfants dessinent, beaucoup, racontent le voyage à leur façon. Mallory met régulièrement en scène notre Château-Ambulant dans de grands paysages sauvages peuplés de créatures bienveillantes.

Et, quand la chaleur décroit, reprendre le chemin de terre puis la petite route et aller partager quelques heures avec les chevaux. Marcher avec la petite main moite de Milan dans la mienne. Un autre grand moment de "l'instruction en famille". Celui où surgit dans les petites bouches de grandes questions métaphysiques. Parfois je sais. Souvent je ne sais pas. Et les petites lèvres continuent de demander "pourquoi ?", "pourquoi ?". De si grandes questions de la part de si petites personnes qui ouvrent en nous de si grandes interrogations. Avoir le temps de voir le monde à travers les yeux d'un enfant. Promenades à pied dans les bois ou jeux d'eau avec les chevaux. Oberon est le plus joueur d'entre tous. Décidément les étalons savent offrir une belle qualité d'amitié. Soigner la petite blessure de Sheryl. Au lieu de nous en tenir rigueur, voilà que la relation prend une nouvelle dimension. Callista prend plaisir aux soins, apprend à devenir une présence rassurante et stable pour la petite pouliche. Elle a peut-être trouvé sa vocation. La voilà en train de préparer ses emplâtres d'argile aux huiles essentielles. Elle rayonne. Les garçons jouent dans les pattes d'Antara, le doyen de la troupe, le magicien gris devenu le magicien blanc. Ils se haussent sur leurs petits pieds pour mieux le brosser. Trempent la brosse dans l'abreuvoir pour mieux le rafraichir. Milan embrasse son poitrail et ses antérieurs de ses petits bras bronzés. Antara, bienveillant, ne bouge pas d'un pouce et semble apprécier ce déchainement d'affection, ces petites mains et ces petits bras qui virevoltent avec adresse pour prendre soin de lui.

La lumière est douce. Yoann "sent" que le moment est venu de monter sur le dos de Style, sa jument, celle avec laquelle il partagera randonnées et travail sur le ranch. Elle a pris sept ans cette année. C'est une maîtresse jument à laquelle tous dans le troupeau obéissent au doigt et à l'œil, ou plutôt à l'oreille ! Elle n'a pas besoin de beaucoup en faire, son autorité est naturelle, perceptible dans sa façon de se déplacer, visible dans chaque pas qu'elle fait. Mais elle sait également prendre les plus jeunes ou les plus sensibles sous son aile, elle qui est si stable, si reliée à la terre avec ses membres solides et ses pieds larges. Et, en cas de besoin, elle sait aussi défendre le groupe, comme ce jour où un jeune taurillon d'un an ou deux mais déjà bien massif et bien encorné avait fait irruption dans leur parc. Elle l'avait sortie de là avec vaillance et doigté sous les encouragements et l'admiration béate des bébés ! Yoann est déjà sur son dos. Elle est libre au milieu de ses congénères. Yoann la laisse faire à son gré. Elle se déplace parmi les chevaux comme si elle était fière de porter son cavalier et de le manifester aux yeux de tous. D'ailleurs ils viennent un par un, renifler, sentir, observer, comprendre. Elle semble trouver ce moment complètement naturel. Yoann aussi. Ils sont sur la même longueur d'onde. Ce soir, le lien qui les unissait est devenu palpable.

Mon propre petit cheval, mon Tout-Noir, le fils de Style, celui que j'ai vu naître sous le soleil, a quant à lui pris trois ans cette année. Ce n'est plus le même. Il n'a presque plus rien d'un bébé. Il investit davantage notre relation. Prend un rôle plus important dans le groupe, initiant volontiers les déplacements, se souciant aussi de la protection du troupeau. Petit c'était un poulain complexe, mélange d'ardeur et d'extrême sensibilité. Combattif dès la naissance. Tête brûlée. Mais le temps seul a suffi à le voir évoluer. Quinze jours pour accepter le licol quand il n'avait que quelques mois. D'abord simplement posé au sol près de lui, il n'en supportait pas davantage. Puis encore trois autres jours pour y attacher simplement la longe. Pour les autres manipulations -comme le parage- il suffit de lui laisser le temps de comprendre. Il cherche toujours activement la réponse attendue. Dès qu'il a trouvé, c'est gagné. A trois ans, il ne lui faut pas trois minutes pour accepter de monter dans un van et de réitérer régulièrement l'expérience. Le premier sanglage il y a quelques jours a lui aussi été une simple formalité. Il semble apprécier d'être le centre de l'attention. Il est heureux qu'on lui propose des nouveautés. Je monte quelques secondes sur son dos. Pas plus. Le soleil descend à l'horizon. Mon petit cheval est plein de prévenance mais je sens que c'est déjà beaucoup pour lui. Je redescends. C'est suffisant. C'est beaucoup. Je ne veux pas que ce soit trop. On a le temps. En fait, ces premières secondes sur son dos sont un cadeau inestimable. Elles sont la promesse de nos futures chevauchées. Il y a en germe dans cet instant rien moins que nos prochaines virées à travers les grands espaces canadiens. Il est né en France mais il a été conçu là-bas. Nafoe, petit cheval d'indien. Il appartient à cette terre. Tout comme moi.

Titania, le 26 juin 2017, France

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Commentaires

  1. Que d'Amour, que de Lumière et que de Couleurs dans ces partages et échanges... Merci, merci, merci!!!

    • titania

      juillet 1

      Merci Angélique, j'espère qu'avec ces quelques mots et photos j'ai pu partager un peu de la douce atmosphère de ces jours...

  2. Floflodelamancha

    juin 26

    La vie et la mort ne sont rien l'une sans l'autre...ici, que de vie, que de vies, et de lumières !! Merci pour ces encore bien jolis mots de vies ...

    Florence

    • titania

      juillet 1

      Oui c'est vrai et la vie n'en est que plus vivante !! Merci à vous... Titania

  3. Océane

    juin 26

    Je me répète désolée mais vos photos sont toujours aussi belles!
    Plus tu laisseras le temps aux chevaux plus ils te donneront et ce que tu leur demanderas leur paraîtra logique.
    Que j aime votre vision des choses. Je vous souhaite plein plein de bonheur maintenant mais aussi dans votre futur chez vous.

    • titania

      juillet 1

      Merci Océane !! ça fait du bien d'être comprise, de se comprendre, bref de ne pas être seule 😉 ! Oui on se languit d'avoir à nouveau un chez nous, aussi belle soit-elle l'attente est douloureuse et demande tellement de confiance en l'avenir...

  4. Auriane

    juin 27

    Les pensées, les mots sont "puissants" dans ce texte. Merci (encore et toujours) de partager vos précieux moments avec nous. La relation que vous avez avec les chevaux, les chiens, la nature est magnifique et nous rappelle qu'il faut profitez de chaque instant, aussi petit soit il.
    J'ai arrêté l'équitation il y a un bon moment à présent comme si cela ne me convenait plus et en vous "écoutant" je me rends compte que c'était bien cela. Votre vision de la vie avec les chevaux m'a ouvert les yeux et en lisant vos textes, cela me conforte dans l'idée de ce que je veux vivre avec eux et avec la nature. Merci.
    Merci pour ces sublimes photos qui parlent d'elles même.

    • titania

      juillet 1

      C'est exactement cette Beauté de la simplicité et de la nature qu'on retrouve aussi bien dans la poésie chinoise que dans la culture amérindienne, et mon dieu que ça correspond à ma perception du monde !! Pour ce qui est de l'équitation, j'entends souvent "si on aimait vraiment les chevaux, on ne les monterait pas" et je ne suis pas non plus d'accord avec ça, simplement parce qu'il y a tous ces moments où ils nous disent "oui", où ils sont pleinement volontaires, où ils sont fiers d'avoir une "mission", sinon comment expliquer leur lien à l'homme si ancien... Mais ce n'est peut-être plus de l'équitation à ce moment-là, il faudrait inventer un autre mot. Ces dernières années, on a moins monté à cheval, je crois qu'on avait besoin de construire autre chose avec eux (et d'en déconstruire beaucoup aussi), mais l'envie nous reprend, et on a plein de belles idées !
      Encore merci pour ces beaux échanges !!

  5. Virginie

    juillet 4

    La chair de poule ... tout au long de la lecture, en contemplant tes clichés ... ^^
    La nature tout autour de nous, avec nous, en nous, simple et essentielle, c'est ça la vie!
    Merci <3

    • titania

      juillet 4

      Merci, merci d'avoir compris ce texte, ça me touche beaucoup...

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