Les chevaux vus du cœur

Les chevaux vus du cœur


L'histoire du Teepee Heart Ranch au travers de l'incroyable histoire du cheval nommé Cougar. Avec lui se peint également une autre approche du débourrage...

Le Teepee Heart Ranch comptait autrefois deux-cents chevaux d’élevage dont la réputation était telle qu’ils s’exportaient jusqu’en Europe. Il est juste que le ranch ait retrouvé cette vocation depuis l’arrivée d’Open Your Heart, l’étalon outrenoir, et de Rose Gold N Rubies, la pouliche de feu qui parcourt les paysages en noir et blanc de l’hiver. En l’espace d’une année, Rose a été sacrée avec un titre de championne du monde, puis s’est métamorphosée en une princesse du Nord - apprenant à dompter un climat rude et s’exerçant déjà à mener la harde - et a été appelée enfin à devenir la première dame de Midsummer Night’s Dream Horses : ce rêve un peu fou et résolument poétique d’élever de nobles chevaux au cœur des grands espaces sauvages. Une vision de l’élevage qui a aussi partie liée avec la magie - toutes nos juments ne sont-elles pas des magiciennes, des ensorceleuses, des enchanteresses - et qui nous a permis, au travers des cycles cahotants de la vie et de la mort, de toucher parfois – bien au-delà de leur utilité – à l’essence même de nos cavales. Nous voulions élever des chevaux autrement, nous avons réinventé toute notre vie.

le troupeau du teepee heart ranch

Il y a des chevaux qu’on quitte avec un chagrin que rien ne consolera, et des chevaux qu’on rencontre par hasard et qui enrichissent nos rêves. Les uns comme les autres nous ont appris que les chevaux sont des philosophes stoïciens et des maîtres taoïstes ; ils ont fait leur le vers de Rilke : « le don de soi est un achèvement ». C’est ainsi qu’en devenant les gardiens du Teepee Heart Ranch, nous sommes devenus les veilleurs de ses habitants : un large troupeau, hétéroclite, distant et inconnu. Beaucoup étaient craintifs, certains franchement hostiles, quelques-uns dociles enfin, de cette docilité caractéristique des chevaux qui ont renoncé. Un laboratoire. L’année qui suivit fut celle de notre apprivoisement mutuel.

Cheval de ranch, Tennessee Walker

Cougar est un Tennessee Walker, un héritier de l’histoire du ranch : sur une photo jaunie, Duane Witte, le fondateur du Teepee Heart monte un de ses ancêtres, un solide cheval pie bai comme lui. Sa propre sœur – Sunny - lui ressemble beaucoup, elle a quitté le ranch l’année qui a précédé notre arrivée pour rejoindre une petite harde de mustangs. A la fin du printemps, elle avait donné naissance à un petit mâle à l’œil brillant. Trois mois plus tard, elle vivait avec un nouvel étalon à la large face blanche. L’existence des poulains sauvages est précaire, mais son fils se développait magnifiquement, alternant les siestes au creux des herbes et les jeux solitaires. Notre fille avait alors commencé à caresser l’idée de la ramener à la maison et ainsi de sauver son poulain, l’approchant avec des paroles douces et un peu de grain mais rien n’y faisait, l’étalon finissait toujours par s’enfuir et Sunny par le suivre. Pat : « Abattez l’étalon, en plus ça vous fera des steaks, c’est comme ça que faisait le vieux H. (un de nos prédécesseurs) ». Une vie pour une vie. Mais ce n’était pas à nous d’en décider. Au début du mois de janvier, le poulain avait disparu. J’ai ressenti une peine absurde. Sunny et son étalon ont alors rejoint la harde du printemps ainsi que deux étalons célibataires : huit chevaux réunis dont quatre entiers, une réponse de plus en plus fréquente à l’hostilité de l’environnement. Toujours les cycles cahotants de la vie et de la mort.

  • _C4A5214

    _C4A5214
    C4A5214

  • _C4A5218

    _C4A5218
    C4A5218

  • _C4A5250

    _C4A5250
    C4A5250

  • _C4A5439

    _C4A5439
    C4A5439

  • _C4A5456

    _C4A5456
    C4A5456

  • _C4A6127

    _C4A6127
    C4A6127

  • _C4A6155

    _C4A6155
    C4A6155

  • _C4A6266

    _C4A6266
    C4A6266

  • _C4A6276

    _C4A6276
    C4A6276

  • _C4A6279

    _C4A6279
    C4A6279

 

Mais les hongres se tiennent un peu à part de ces luttes et de ces tragédies et choisissent plus volontiers le camp des hommes. Ainsi en est-il de Cougar. Quand il n’était qu’un nouveau-né, il a survécu de justesse aux blessures que lui avait infligées un lion des montagnes, lion qui lui a également donné son nom. Aujourd’hui il ne reste rien du poulain frêle et vulnérable, Cougar est devenu un géant au large cœur et au caractère bien trempé. Les indiens diraient probablement de lui qu’il porte la medecine du puma. Il est marqué à l’encre pourpre, l’écriture du sang, celle qui lie dans une union indestructible. Il est maintenant âgé d’une dizaine d’année et doté d’une force physique et mentale telle que l’approche musclée serait exclue d’emblée. Comme le disait Buck Brannaman, un cheval qui ruerait ne serait pas une source de fierté mais bien de honte. Yoann aborde donc avec bienveillance et empathie son débourrage, pratiquant une monte instinctive au cœur du troupeau. « Débourrage » : au fond, nous n’aimons ni le nom, ni la chose, hormis peut-être dans son acception botanique, l’idée d’un potentiel auquel on permettrait de bourgeonner et d’éclore. Pour nous, ce temps du couplage entre un cheval et un cavalier ressemble davantage à une toile comme si la forme du débourrage traçait le portrait de la relation entretenue avec un cheval. A chaque nouvelle œuvre, c’est comme si nous osions davantage, portés par le désir de se perfectionner et taraudés par l’incertitude quant à l’issue : chaque débourrage est une première fois. Il y a un étonnement. Peut-être celui d’apprivoiser l’immense simplicité. Comme le peintre chinois du Conte qui épure ses essais graphiques jusqu’à ne tracer plus qu’un trait primordial, notre approche des chevaux s’est peu à peu dépouillée de tout ce qui alourdit ou entrave : croyances, matériel, méthodes. Il faut s’affranchir, se libérer de l’imitation qui empêche de saisir ce qui est en soi, aboutir à un monde dépouillé d’avant les traditions. Un monde rupestre certes, mais au cœur duquel il est possible de faire surgir une nouvelle lumière. Certains peintres renoncent à la figuration, de même avons-nous au fil des années renoncé au travail formel et laissé aller la main. Sur ce chemin, il existe un point de non-retour. La préface de l’œuvre de Zao Wou-Ki rappelle qu’il y a des traditions de liberté du pinceau (du cheval), et d’acceptation du jeu entre le papier et l’encre (l’union de la matière et du souffle), dictant sa loi à la main du peintre (du cavalier). Les combats et les rodéos de jadis prennent la forme de fusions et de rencontres : il n’y a plus qu’un pur agencement des formes et une poussière soulevée par un vent invisible dans leur sillage. Un « débourrage », loin d’être une sorte de vandalisme (on dit pourtant « casser un cheval » en anglais), est une peinture, un poème essentiel, une danse chamanique même. Une œuvre magnifique surgit. Le bonheur d’être à cheval

le vieux barn du Teepee Heart Ranch

Commentaires

  1. Thilda Lehacque

    juillet 10

    Cheval et cavalier regardent dans la même direction ...

  2. Angélique BILLER

    juillet 11

    Oh WOW...! En contemplant les photos de Cougar depuis que tu en partages, je ressentais quelque chose - une dimension en plus - d'indéfinissable mais très différent dans sa présence. Et là, dans ton récit, je comprends enfin "quoi": La Médecine du Puma! Elle émane en effet de tout son Être, ce qui donne une impression de "grand fauve" ajouté à sa morphologie de cheval, et comme une sérénité, un aplomb en plus.
    Et cette lignée/saga familiale de Tennessee Walkers dans laquelle le "grand-père de la photo jaunie", Cougar et Sunny s'inscrivent, qui lie à la fois les humains habitant ce lieux successivement et cette famille équine, c'est incroyable!
    L'analogie que tu dépeins entre le dessin des maîtres du pinceau et le couplage homme-cheval parle totalement à mon coeur d'artiste et d'amoureuse des chevaux <3
    Pour moi, il s'agit bien de "trouver un langage commun", un "messager" entre la matière et le souffle en SOI pour le dessin, et avec la matière et le souffle d'autrui dans les relations. Découvrir la matière et le souffle du cheval, s'en émerveiller, chercher le langage commun... En gardant profondément à l'esprit que le cheval n'a jamais "BESOIN" qu'on monte sur son dos, qu'il ne nous "doit rien", et comme cette demande émane de nous (NOUS voulons monter sur leur dos, si une autre espèce voulait m'"utiliser comme véhicule", pas sûre que je serais d'accord! Ha ha ha), c'est à nous de demander et obtenir le CONSENTEMENT du souffle et de la matière du cheval, ET de faire en sorte que la relation soit "gagnant-gagnant-gagnant"... 🙂
    Les photos de Yoann avec Cougar me nourrissent le coeur! MERCI!!! On y sent ce respect, cette attention, cette curiosité de la matière et du souffle de chacun.
    Merci merci merci à vous!!!

    • titania

      juillet 22

      Angé <3 Pour nous aussi quelque chose s'est éclairé quand on a appris l'histoire de Cougar. Et ensuite, c'est grâce à une communication avec Cathy, qu'on a pris toute la mesure de Cougar et de ce "choix fondateur" qu'il a fait tout petit, celui de la Vie. Un grand cheval qui a besoin que nous soyons grand pour qu'il n'ait pas à se faire petit... Quant à la saga familiale, elle se poursuit ! Il y a quelques nuits, sous les étoiles et la Comète, Sunny (la soeur de Cougar donc) a donné naissance à un poulain/pouliche au port fier, d'un blanc éclatant et doté d'un "medecine hat". Qui sait, peut-être nous rejoindra-t-elle au ranch...
      En tout cas, je suis heureuse que ce texte ait sonné juste à ton âme d'artiste. Cette question du consentement des personnes animales est fondamentale. Et je crois très fort à la possibilité de construire une relation gagnant-gagnant-gagnant...
      Je t'embrasse fort

  3. Auriane

    juillet 11

    En partageant ce moment de "débourrage" , c'est également une découverte de soi et c'est d'autant plus sublime. Cheval et humain apprenant à se connaitre différemment, apprenant à n'être qu'un, à partager toutes les émotions... ♥
    Durant mon stage dans un centre de loisirs où il y avait un centre équestre, j'ai participé à un débourrage d'un jeune et dans mon souvenir, j'étais plus heureuse de réussir tisser un lien avec le cheval que de le faire tourner en rond et de faire le sac à patate... Je me souviens même que je suis la première à avoir réussi à lui mettre le tapis et la selle sans qu'il bronche, parce que j'avais pris le temps et j'y allais souvent. Ce n'est pas grand chose mais j'étais contente, et au final, on m'a mise de côté pour la continuité du débourrage parce qu'il faillait faire vite. Donc, c'est un bon et assez mauvais souvenir mais c'est aussi à ce moment je pense que j'ai commencé à me dire que je préférais être aux côtés des chevaux et non dessus ainsi qu'avoir une relation différente de tout ce que j'avais connu.
    Merci en tout cas pour ce magnifique partage et voir Cougar fier d'avoir Yoann avec lui (et Mallory aussi, la photo est d'ailleurs forte en émotions ♥) c'est sublime. De beaux moments de complicité.

    • titania

      juillet 22

      Merci Auriane. Comme toi, je fais partie de ceux qui construisent sur la base solide de la relation (à condition que la relation soit saine), qui croient que chacun à son rythme et qu'il faut le respecter sans plaquer un calendrier préconçu et qu'on perd beaucoup à copier ce qui se fait (tourner en rond, faire le sac à patate, etc) plutôt que d'écrire une histoire unique à partir de ce cheval unique et de cette personne unique que nous sommes...

REPONDRE

Répondre à titania Cliquer ici pour annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Traduire »