La Rencontre
« Entre regard et silence, la beauté est une rencontre ; perdue au sein de l’immense, toute présence est pivot autour duquel l’univers tourne, soudain proche intime, l’in-attendu a lieu. » F. Cheng. On ne maîtrise pas le surgissement de l’émerveillement, pas plus que celui d’un coup de foudre ou d’un éclat de rire. Tout ce qu’on peut faire, c’est être présent au rendez-vous.
C’est la fin de l’après-midi par une belle journée d’automne. A cette altitude, le chatoiement de la saison ne se manifeste pas tant dans l’éclat des feuillages que dans l’or de la lumière. Les arbres sont clairsemés, l’herbe sèche et haute. Au loin, entre les troncs à l’écorce blanche, se dresse une silhouette cuivrée sur laquelle la lumière pleut. Une large liste. Une crinière flamboyante. Des oreilles légèrement dissymétriques. C’est un cheval solitaire. Un étalon sauvage. Nous nous dévisageons.
Je suis partagée entre le désir de l’approcher, et le respect de sa tranquillité ; lui oscille entre inquiétude et curiosité. Je fais quelques pas vers lui, il avance franchement sur moi, me prenant au dépourvu. Nous nous arrêtons à une vingtaine de mètres l’un de l’autre. Le soleil couchant baigne toutes choses : graminées, feuillages et fleurs séchées. C’est l’apothéose de la lumière. L’étalon est transfiguré. Il se nimbe du mystère de sa propre présence.
Il hésite. Dans cette immensité, un seul faux-pas, et il aura disparu en l’espace de quelques foulées. Si je veux le retenir, je ne dois pas me dissimuler mais me donner à voir. Il frémit. J’entreprends de l’ignorer, lui tourne le dos, fais mine de m’absorber dans la contemplation du sol et il ne peut résister davantage ; il s’approche encore. La plupart des entiers sont braves, curieux et prompts à l’amitié et au jeu. Je dois l’intéresser, le surprendre, le fasciner. Je commence à courir parmi les herbes sauvages. Il secoue la crinière de perplexité puis se met à galoper avec moi. Parfois, il s’éloigne et je crois que je l’ai perdu, mais il dessine un cercle et revient. Nous dansons ! Comme je reprends mon souffle, il se tient vibrant face à moi, un rayon de soleil descend sur lui. C’est la perfection de l’instant. C’est déjà passé. Je le regarde s’en aller. Disparaître derrière la colline. J’attends. Mais quoi ? Et le voilà soudain qui s’avance noblement au sommet de la butte. C’est peu dire qu’il a le sens du panache. Il se dresse, fier et frémissant, me fixe intensément et lance un souffle bruyant, un souffle victorieux, un souffle sauvage et magnifique. Entre regard et silence, la beauté est une rencontre. Perdue au sein de l’immense, toute présence est pivot. L’inattendu a lieu.
Bien à vous,
Titania
Thilda Lehacque
juin 28
Merveilleux de relire ce texte de célébration accompagné de toutes ces photos où pleut l'or de la lumière. Merci !
titania
juillet 1
Merci ! Oui mots et photos se répondent et s'enrichissent...
Auriane
juillet 11
Un partage entre vous deux simple mais magique. Ton texte, si bien écrit, me permet de t'imaginer danser avec lui, c'est fabuleux. Les photos sont magnifique et on voit sa curiosité mais aussi sa force. Merci pour ce partage ♥
titania
juillet 18
Merci Auriane, oui tu as raison, quoi de plus simple qu'un tête-à-tête avec un cheval et quoi de plus magique en même temps... C'était tellement fort que quand je m'en suis allée, j'en pleurais, c'était presque trop fort justement, trop merveilleux. C'était l'automne dernier. On ne l'a plus revu après ça, jusqu'à hier. Toujours le même, toujours solitaire. Un étalon sauvage qui voyage seul sur les hauts plateaux.
Geneviève Garcia
août 14
Magnifique! On le vit avec vous! Le monde sans mots des chevaux, une effluve du paradis s'est échappé , un instant magique et merveilleux s'est produit laissant ce sentiment de paix jamais autrement inégalé! Seul le cheval permet cela!
titania
août 14
Merci pour vos mots !!