Grécité

Grécité


Suite de notre voyage au long cours : Quelques jours baignés de lumière et chahutés par le vent dans une crique caillouteuse du sud du Péloponnèse.

"Pourtant, un poète n'est pas un ectoplasme fécondé d'abstractions. Les poètes comme les hommes vivent dans la réalité du monde. Ils respirent un air particulier, se nourrissent des produits de leur terre, regardent des paysages singuliers. La nature féconde le regard, le regard nourrit l'inspiration, l'inspiration engendre l'œuvre." Sylvain Tesson, Un été avec Homère

"Les dieux ne se montrent pas à tous les yeux", Odyssée, XVI, 161

14 janvier 2018 - Traversée du Péloponnèse du nord au sud. Nous passons Sparte. Arrêt-minute pour acheter des kilos d'oranges et de mandarines mûres à point, et on nous offre - bien qu'il soit 16 heures à peine - un verre d'alcool d'orange à soixante degrés. Surprise : malgré le tourisme de masse, les grecs sont restés un peuple accueillant et chaleureux comme nous allons le constater tout au long de notre séjour ici. Le paysage est presque sauvage. La garrigue, peuplée de chênes verts qui nous feraient presque oublier la saison, s'étend au pied des montagnes enneigées et j'ai envie d'aller me perdre le long des sentiers qui serpentent vers les sommets. Après la tombée de la nuit, nous rejoignons le bord de mer qui fait face à la Lybie. Il faudra attendre le lendemain pour découvrir le lieu à la lumière du jour, pour le moment je m'emplis de la chanson nocturne des vagues et des galets.

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15 janvier 2018 - Ciel gris et bas. La crique est trop large pour être véritablement intime mais les eaux bordées de roche sont transparentes et abritent des tortues marines. Lors de mon rendez-vous quotidien avec mon journal, j'écris ces lignes : "Nous sommes des voyageurs d'un genre particulier car en réalité nous n'avons pas la sensation de voyager mais plutôt celle d'habiter pleinement des lieux successifs." Peut-être qu'à l'inverse, le jour où j'aurai retrouvé un foyer, je me rappellerai que nous ne sommes que de passage.

 

16 janvier 2018 - Il pleut sans discontinuer. Et la mer n'en est que plus belle. Nous désespérons seulement de parvenir à sécher un peu linge et ce d'autant plus que Milan, en qualité d'enfant plein de vie, use plusieurs tenues par jour, chaussures comprises. Le nectar des oranges compensent l'absence de soleil. Plus haut, au village, quelques boucs entravés. Une corde relie un petit licol très ajusté à une patte avant et une patte arrière. Les bêtes vont ainsi, tête basse et boiteuses, elles qui sont faites pour bondir joyeusement sur les pentes escarpées. Ces boucs vivent au paradis mais leur existence est un enfer. Ils me rappellent La chèvre de M. Seguin, cette histoire qui ne manque pas de me bouleverser à chaque fois que je la lis aux enfants bien que j'en connaisse la fin : tout plutôt qu'une cage ou une corde. "Ah ! qu'elle était jolie, la petite chèvre de M. Seguin ! Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande !"

 

17 janvier 2018 - Ce matin, un vent fort a secoué les nuages. Je suis effarée par la lumière soudaine, secouée de rafales, gorgée d'embruns ! Toute la palette des bleus est présente dans les eaux impétueuses. "Chaque espace possède son écusson. En Grèce, il est frappé de vent, traversé de lumière, caparaçonné d'affleurements." (Sylvain Tesson). Les garçons, nullement découragés par les bourrasques, entreprennent de débarrasser la plage de ses immondices. Ils le font sans une pensée pour les pollueurs, sans colère ni haine, simplement portés par leur amour de la mer. Ils font ce que leur humanité leur ordonne. Puis Callista et Alanis sortent leur prêter main-forte. Alanis observe un moment Milan puis l'aide à extraire un détritus en partie enseveli ! Véritable volonté d'aider, désir de jouer, coïncidence ? Puis la voilà qui observe un moment encore le manège des enfants et file au bout de la plage d'où elle ramène une vieille chaussure trouée, abandonnée par la mer ! Aurait-elle compris ?! Ce ne serait pas la première fois - ni la dernière d'ailleurs - que sa vivacité d'esprit nous surprendrait.

 

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18 janvier 2018 - La luminosité est intense et le vent s'acharne. Il se rue dans la crique comme dans un couloir puis nous heurte de plein fouet. Fichtre ! Le vent souffle plus fort que jamais dans nos voiles ! C'est indescriptible : il nous fouette les sangs, nous embrase et nous enivre ; il nous place dans un état de conscience particulier. On comprend mieux pourquoi les delphiens avaient un culte des Vents (Hérodote). Ainsi, journée de "non-agir", et il semble que je dispose d'une grande aptitude à la paresse ! Je peux rester assise face à la mer tout le jour sans éprouver l'ennui. A contre-courant d'une époque qui mesure l'accomplissement d'une destinée à l'épuisement ressenti et la richesse d'une vie à son occupation. Une occupation, oui, comme en tant de guerre. "Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, et l'amour infini me montera dans l'âme" écrivait Arthur Rimbaud. Nous nous glissons ainsi peu à peu, de plus en plus sensiblement, dans le cœur de la Grèce, baignés que nous sommes de photons, de rafales et d'écume et, l'esprit vierge. Henry Miller pensait que le voyage en Grèce était ponctué d'"apparitions spirituelles"; je le crois. La Grèce n'est-elle pas le berceau des centaures, des licornes et des titans ? "Il faut s'incorporer à la matière physique dans laquelle Homère sculpta son poème." tout comme "il faut séjourner sur un caillou pour comprendre l'inspiration d'un artiste aveugle" (S. Tesson, Un été avec Homère).

 

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19 janvier 2018 - Mallory lit désormais le grec sur les boîtes de céréales au petit-déjeuner ! Plus généralement son inventivité me fascine : il ne croule pas sous les jouets, alors il les invente et les crée ! Ailes de dragons en carton, radeau de bois flotté, château en bambous, et origami de toutes sortes (animaux fantastiques, épées et sabres, bateaux...). Sa boîte à trésors déborde, de même son carnet de voyage. Son livre sur les plantes est tout annoté. Son placard recèle les croquis d'inventions futures. Et ses doigts sont blessés d'un entraînement au tir à l'arc trop assidu. Tout au long de l'année, il s'émerveille de la germination des graines, de la croissance des têtards et de l'apprivoisement des papillons ; en réalité, il s'émerveille ainsi de milliers de "petites" choses et, ce faisant, il nous permet de voir à travers ses yeux d'enfants. Si l'on veut voir ses enfants s'épanouir comme les fleurs, viser les étoiles ou se transformer comme les libellules, ne faudrait-il pas d'abord les emmener dans la nature où toutes ces choses arrivent pour de vrai (Wilder Child) ?

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20 janvier 2018 - Nous remontons vers le centre de la Grèce, direction Delphes. Comme nous partons, une famille arrive en bus aménagé, avec enfants et chats. Le trajet peint sur la carrosserie nous apprend que, comme nous, ils reviennent du Cap Nord en Norvège ! Nous manquons de peu la rencontre et cette fois-ci, j'en éprouve des regrets. La route est belle à travers le Péloponnèse : montagnes à perte de vue, champs d'oliviers et troupeaux de chèvres et, par intermittences, des effluves entêtantes d'huile d'olive fraîchement pressée. Ce soir nous campons sur les hauteurs de Corinthe : à la tombée de la nuit, les lumières de la ville s'allument une à une en contrebas, tandis qu'au-dessus de nous les murailles se fondent dans l'obscurité.

Commentaires

  1. Angélique Biller

    juillet 8

    Les enfants - humains et canin - qui nettoient la plage avec attention et joie: quel espoir et émotion réconfortants !!! Oui, les enfants laissés à leur poésie, leur appétit de découverte, leur corps libre, sont réunis avec leur Nature Sauvage, et Elle les rend conscients de leur continuité avec Celle qui les entoure... Merci encore une fois: lire tes mots, illustrés des images des Petits d'Homme tout affairés à leur travail important (et joyeux), est un baume pour le Coeur et l'Âme!
    Les bleus et indigos de tes photos (du ciel, de la mer, de la nuit,...) sont d'une incroyable richesse...! Magnifiques...!
    Et j'aurais adoré explorer les galets de la crique, leurs couleurs sont superbes!

    • titania

      juillet 8

      J'adore les plages de galets ! Et je ne doute pas que ton âme d'artiste, et ton âme tout court !, s'y seraient senties très inspirées <3
      Tiens, j'ai lu ces mots de Khalil Gibran ce matin : “Vos enfants : vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous.” C'est pourquoi c'est tellement enrichissant de vivre chaque jour à leurs côtés !

  2. Océane

    juillet 12

    Qu il est beau cet article!!!! Très touchant les photos des enfants sont magiques et que dire du paysage! Merci de nous partager tout ça!
    Alanis incroyable! Moi je crois qu elle imite les enfants et met sa pierre à l édifice!
    Mais je répète mais quel bel article! Il nous met du baume au coeur!!!

    • titania

      juillet 13

      Merci beaucoup Océane !!

  3. Auriane

    juillet 24

    Les photos sont à couper le souffle, c'est une magnifique plage que vous nous avez fait découvrir et c'est toujours merveilleux de voir que vos enfants n'éprouvent que de l'amour malgré les nombreux déchets. Nous avons beaucoup à apprendre d'eux, c'est indéniable.
    Merci pour ce récit reposant et beau. ♥

    • titania

      juillet 24

      Oui des photos à l'image de la Grèce (j'espère !), toute cette lumière, tout ce vent et toute cette roche... c'est difficile à partager avec des mots !
      Et ce voyage, au plus proche des enfants, a été très inspirant : pas de comparaison, pas de compétition, pas d'ego, juste ce qu'ils sont, où ils sont, à cet instant...

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