Delfica
La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,/ Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,/ Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants,/ Cette chanson d'amour qui toujours recommence ?...
Reconnais-tu le TEMPLE au péristyle immense,/ Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,/ Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,/ Où du dragon vaincu dort l'antique semence ?...
Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !/ Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;/ La terre a tressailli d'un souffle prophétique.../ Cependant la sybille au visage latin/ Est endormie encor sous l'arc de Constantin/ - Et rien n'a dérangé le sévère portique. Gérard de Nerval, Delfica
"C'est le véritable honneur de la Grèce : une victoire de la qualité, de l'intelligence, du courage, du beau et du noble." Michel Déon, Le Balcon de Spetsai
21 janvier 2018 - Sous le signe de la Licorne
Nous quittons Corinthe et le Péloponnèse, passons Athènes sans nous arrêter et prenons la route des montagnes en direction de Delphes. Delphes : le terme de notre voyage. 50 000 kilomètres tout de même pour arriver là. C'est vrai, nous avons fait un long détour qui nous a mené jusqu'aux lointains rivages de Norwège... 50 000 kilomètres pour parvenir au centre de la Grèce, pour parvenir au centre du monde et de toutes choses, pensait-on autrefois, car on peut y voir une pierre bien particulière : "L'omphalos de Delphes était une pierre entourée de bandelettes, qui marquait le siège de la divination appolinienne. Censé représenter le nombril de la terre, c'était probablement à l'origine une sorte de bétyle, une pierre qui passe pour être tombée du ciel et qui est vénérée comme telle. De forme ovoïde, vaguement conique, qui correspond à la forme des tombeaux de l'époque archaïque, il aurait marqué l'emplacement du centre de la terre, l'endroit où se sont rencontrés les deux aigles que Zeus avait envoyés de chacune des extrémités d'un diamètre de la Terre. On voit également en lui le monument funéraire du serpent Python, antique gardien de l'oracle delphique de la Terre, et qu'Apollon aurait tué."
De Finisterra à Delphes. Ainsi la boucle sera bouclée, notre tour de l'Europe sauvage et mythologique m'aura à la fin ramenée à l'endroit exact où j'étais venue enfant, nourrisson âgé de quelques mois à peine. Ensuite, nous rentrerons en France par la Roumanie et la Bulgarie. Je n'arrive pas à croire que nous touchons au but ; en fait d'accomplissement, j'ai la sensation de quelque chose d'inachevé, je suis emplie de tristesse - alors quoi, c'est presque fini ? ça se termine comme ça ? - et la douleur me martèle le crâne tandis que mes yeux semblent vouloir jaillir de leurs orbites. Yoann est pris d'un violent torticolis tandis que nous grimpons en lacets vers les hauteurs, notre château-ambulant choisit de protester en cahotant violemment (pourtant le garagiste en France n'a rien décelé d'anormal) et les cannettes de bière Mythos à l'effigie d'une licorne se mettent à exploser ! Y aurait-il quelque chose à comprendre ?
Nous arrivons enfin en vue de Delphes. Nous nous arrêtons pour la nuit au-dessus d'une mer d'oliviers dont les vagues vert-argent ondoient à perte de vue. Plus précisément nous sommes garés au pied d'un arbre brûlé : il a connu le feu, néanmoins ses rameaux noircis se parent de fleurs en bourgeon. Nous sommes endoloris, notre château-ambulant refuse d'avancer, les Licornes nous font des clins d'œil... et si, au lieu d'épuiser nos dernières forces dans une traversée hasardeuse de l'Europe de l'est en plein hiver, nous nous attardions plus longuement en Grèce - dans une certaine crique de notre connaissance - avant de rentrer au plus court par l'Italie ? La consultation du Yi Jing nous donne le Chaudron : "Chaudron est le symbole d'une transmutation (...) il symbolise une transformation du solide au subtil, un passage du terrestre au céleste qui s'opère par réduction et condensation, processus que chimie et psychologie désignent en français par le même terme : sublimation." Et s'il y avait effectivement quelque chose de notre voyage à parachever en demeurant encore quelques temps ici, en Grèce ? Nous suivrons notre intuition.
22 janvier 2018 - L'Antre Corycien
La lumière ruisselle, un vent glacé souffle, et il a neigé cette nuit ! Envolés les maux de tête et autres torticolis ! Retrouvé l'enthousiasme de notre château-ambulant qui grimpe à nouveau hardiment les côtes ! Nous traversons Kalivia où se dressait il y a trente ans notre modeste hutte de bergers. Le village des pâtres a disparu, remplacé par une station de ski - les temps changent - mais le lieu est resté égal à lui-même, niché au pied du Mont Parnasse enneigé. Je n'ai gardé aucun souvenir de l'été passé ici au rythme de la Grèce Antique mais je suis bouleversée de me tenir là à nouveau : certaines mémoires sont plus anciennes et plus profondes. Nous dénichons enfin l'entrée du chemin anonyme qui mène à travers les sapins jusqu'à la Korikion Antron. Et quelle magie ! A l'abri de la forêt, le vent s'est adouci. Des cristaux étincelants sont suspendus aux branches. La neige qui fond sous la caresse du soleil emplit le sous-bois du crépitement de gouttes innombrables qui tombent au sol. Et la terre fume dans la lumière diffuse. Comme nous prenons de la hauteur, la vue se dégage, portant sur le plateau de Kalivia, le Mont Parnasse et la Mer Méditerranée. Puis, à 1360 mètres au-dessus de la mer (793 mètres au-dessus de Delphes), "sous les sapins s'ouvre l'antre Corycien, hanté par les divinités de la possession surnaturelle, Pan et les Nymphes". On représente Pan comme un jeune homme à tête de chèvre, avec une très courte queue de chèvre : "de l'animal, Pan a les pattes, le sexe, la petite queue, le système pileux et la tête ; à l'homme, il n'emprunte que la station dressée, le buste et les mains" écrit Philippe Borgeaud. Le début de l'Hymne homérique à Pan nous le décrit comme "le chèvre-pieds à deux cornes, le Dieu bruyant qui se promène à travers les prairies boisées avec les Nymphes accoutumées aux danses, ces Nymphes qui marchent sur les cimes inaccessibles aux chèvres en invoquant le Dieu pastoral à la magnifique chevelure inculte, Pan, qui a pour apanage toutes les hauteurs neigeuses, ainsi que les cimes des monts et les sentiers pierreux". Il danse et joue de la musique sur sa flûte de roseaux. Il est le dieu des bergers qui poursuit les Nymphes. Pan est la divinité des espaces inhabités et sauvages.
Je reconnais la fissure qui s'ouvre dans la roche : je possède une photo de moi, nourrisson extatique, devant l'orifice dans les bras de ma mère. A l'intérieur, depuis la nuit des temps, se sont réfugiés les bergers et leurs troupeaux, et les errants de toutes sortes. Nous entrons...
L'antre est immense - la grotte du dragon vaincu évoquée par Gérard de Nerval ? -, de l'eau tombe goutte à goutte de la voûte, formant de délicates stalactites et colonnades mais l'air est sec et doux, et même parfumé ! On jurerait percevoir des vapeurs d'encens dans ce lieu sauvage à l'écart de tout ! Serait-ce à mettre en lien avec les écrits de Plutarque qui avait remarqué que le sanctuaire se remplissait irrégulièrement "d'un souffle parfumé, qui suggère que de l'aduton comme d'une source montent des émanations comparables aux plus agréables et aux plus précieux des parfums ; il est vraisemblable que ce phénomène se produit sous l'effet de la chaleur ou l'influence d'une autre puissance." La terre a tressailli d'un souffle prophétique...
Au retour, il fait sensiblement plus frais, nous sommes désormais à l'ombre et la neige craque sous nos pas. A ce moment, nous percevons distinctement l'odeur musquée du gibier dont la piste traverse le chemin ! Puis une autre un peu plus loin ! Les chiens tendent le museau et nous de mêmes ! Quelle genre de sorcellerie est-ce là ?! C'est la première fois qu'il nous arrive de percevoir distinctement et sans effort le paysage olfactif de nos chiens-loups, la première fois que nous sommes capables de suivre littéralement notre flair. C'est que je me suis surprise tant de fois à rêver à la perception du monde d'Atala quand je la voyais le nez au vent, la brise lui apportant des messages dont j'ignorais tout... Le nez, ce sens archaïque et oublié tandis que les parfums ont toujours constitué une façon privilégiée de communiquer avec les dieux à travers encens et fumigations. Le souffle est au cœur de Delphes.
Au soir, pour compléter l'immersion, nous mangeons grec. Nous sommes seuls dans la grande salle près de la cheminée, c'est un peu étrange. Tout est frais, simple et délicieux et après cette randonnée hivernale, nous sommes affamés. Les plats défilent : tzaziki, feta grillée et encore chaude enrobée de miel et de graines de sésame, fromage local poêlé et arrosé de jus de citrons, saucisses de sangliers comme autrefois, salade grecque, fruits saupoudrés de cannelle, vin blanc sec.
23 janvier 2018 - Delphes
"Le sanctuaire d'Apollon à Delphes est situé sur le Mont Parnasse, entouré de toute part de roches qui le dominent : c'est là que la cité est née du rassemblement des hommes qui, accourant de partout pour affirmer la majesté du lieu, ont élu leur siège sur ce rocher. Et c'est ainsi que le sanctuaire et la cité sont gardés non par des murailles, mais par des précipices, non par l'ouvrage de la main des hommes, mais par des défenses naturelles - en sorte qu'on hésite à admirer plus ici la position stratégique du lieu ou la majesté du dieu. En sa partie médiane, la paroi rocheuse fait retrait en forme de théâtre. (...) Dans un renfoncement du rocher, environ à mi-pente, se trouve un plateau étroit et là il y a une ouverture profonde de la terre qui s'ouvre pour les oracles ; de là un souffle froid, lancé par quelque force comme par un propulseur vers les hauteurs, possède les esprits des devins et les force, remplis du dieu, à donner réponse aux consultants. On peut donc y voir de nombreux et riches présents des rois et des peuples et ces splendeurs manifestent la volonté de gratitude de ceux dont les vœux ont été exaucés et les réponses des dieux." Justin (XXIV, 6, 6- 8)
"La vénération qui entoura le sanctuaire de Delphes lui vint, pour l'essentiel, de son oracle qui passait pour être le plus véridique de tous ; à son prestige contribua aussi, pour une part, sa situation. Il est, en effet, placé à peu près au centre de la Grèce entière, celle de l'intérieur de l'Isthme comme celle de l'extérieur. Il fut même considéré comme étant au centre de la terre habitée et l'on l'appela "nombril de la terre", forgeant même là-dessus une fable que rapporte Pindare, selon laquelle se seraient rencontrés là deux aigles lâchés par Zeus, l'un d'Occident, l'autre d'Orient - pour d'autres, c'étaient des corbeaux. On montre même dans le temple de Delphes une sorte de nombril ceint de bandelettes, sur lequel sont figurés les deux oiseaux de la fable." Strabon
Au pied du site, nous retrouvons le routard français qui avait fait la traversée de l'Adriatique avec nous. Cette fois-ci nous échangeons quelques mots, il regrette avec justesse que statues colossales, frontons épiques et fresques délicates aient été retirés des ruines pour être exposés dans le musée adjacent. Il faut au visiteur quelques talents à la superposition pour replacer dans leur contexte les merveilles mises à l'abri dans les galeries. Il y a aussi de nombreux chiens errants. Mais loin de sembler faméliques et malades, ils semblent avoir une vie sociale très riche et jouir d'une liberté que les chiens domestiques ne pourraient que leur envier.
Puis nous commençons à marcher au milieu des ruines ; les amandiers sont en fleurs et le ciel d'un bleu intense. Le lieu est d'une beauté divine, tel que décrit par Justin, et s'insérant parfaitement et harmonieusement dans l'écrin de roche et de végétation, prouvant par là-même que la plus haute culture ne s'oppose pas à la nature. A cela, il faut ajouter les paroles de Plutarque : "Il dit que l'air de Delphes était dense et compact, qu'il avait de la tension qu'il tenait de la réverbération et de la résistance que lui opposaient les montagnes mais qu'il était en outre ténu et mordant". Le chemin serpente, emmenant le visiteur de la partie basse du site vers le haut, et lui faisant notamment découvrir le rocher de la première Sibylle, le temple d'Apollon, le théâtre et tout en haut le stade. Ainsi, nous déambulons comme dans les dialogues pythiques : "En effet, arrivés près du rocher situé à proximité du Bouleutérion, nous nous étions arrêtés. On dit que la première Sibylle s'y était assise, venue de l'Hélicon où elle avait été nourrie par les Muses (certains disent qu'elle était venue du pays des Malies, et qu'elle était la fille de Lamia, elle-même fille de Poséidon). Sarapion rappela les vers dans lesquels elle s'est chantée elle-même : elle y prétendait que, même morte, elle ne cesserait de prédire l'avenir : elle-même, installée dans la lune, suivrait sa révolution, devenue ce qu'on appelle "le visage" qu'on y voit, et son souffle, mélangé à l'air, serait porté toujours, de-ci de-là, dans des augures et des présages." Là se tenait autrefois un culte à la Terre-Mère, Gaïa, dont l'enfant, Python, - un énorme serpent ou un dragon femelle - aurait été occis par Apollon. Pour ce meurtre, tout Dieu qu'il fut, Apollon serait ensuite parti neuf ans en exil afin de se purifier de son acte avant de prendre possession du sanctuaire.
Plus haut se dresse le temple d'Apollon, au-dessus de la faille où se tenaient les oracles. Comme on s'y arrête, un aigle plane en cercles concentriques au-dessus des colonnades. On dit que c'est le chevrier "Corétas qui découvrit à la fois l'emplacement du sanctuaire oraculaire et la technique divinatoire, en observant l'étrange comportement de ses chèvres, quand elles respiraient l'air émanant d'une certaine fissure ; elles étaient comme en transe, tremblantes et possédées." (P. Borgeaud) Il faut se représenter ensuite l'oracle dans sa puissance et sans apprêts car : " la sybille, c'est d'une bouche délirante, selon Héraclite, qu'elle profère des sons, sans sourire, sans parure et sans parfum, et elle fait entendre sa voix depuis mille ans grâce au dieu." (Plutarque)
Car il n'y a pas que l'air qui est dense ici. L'Histoire aussi qui, dans ses tranches les plus anciennes, rejoint éventuellement les mythes et les légendes et qui, bien loin d'écraser le visiteur, le soulève, le transporte, l'enthousiasme. C'est ici que le roi Philippe envoya un émissaire après qu'il a vu sa femme avec un grand serpent pour savoir de quoi il retournait. Il lui fut répondu de vénérer Jupiter et qu'il perdrait l'œil par lequel il avait observé sa femme en compagnie du dieu à travers l'huis ; Philippe devint effectivement borgne et n'osa plus partager la couche d'Olympias. Après son père, c'est Alexandre en personne qui vint à Delphes avant sa conquête de l'Asie. La Pythie n'officiait pas à cette période de l'année et elle refusa de se présenter. Alexandre, loin de renoncer, alla la chercher lui-même, la tirant vers le temple si bien qu'elle s'écria : "Tu es invincible, à ce que je vois, mon fils" ! Il en avait assez entendu et, confiant dans ces paroles, il se mit en route pour l'Asie. Evénement moins connu, trois siècles avant J.-C., bien avant leur conquête par les romains, les gaulois sont également venus jusqu'ici après leur triomphe en Italie, mais pour mettre Delphes à sac. Enfin, Plutarque, dernier prêtre d'Apollon à Delphes raconte la fin des oracles, la disparition du souffle et la mort de la dernière pythie : avant chaque consultation, on aspergeait une chèvre d'eau froide ; celle-ci tressaillait, autorisant ainsi l'oracle, avant d'être elle-même offerte en offrande. Mais ce jour-là, la chèvre ne trembla pas. On continua malgré tout de l'asperger d'eau, encore et encore, si bien que, trempée et glacée, elle finit éventuellement par s'ébrouer et la pythie se rendit sur son trépied au-dessus de la fissure. Mais elle en ressortit hurlant et trébuchant, le visage déformé par la terreur, affolant les personnes présentes qui s'enfuirent ; elle mourut quelques jours plus tard. C'était terminé. C'était la fin des oracles. La fin du souffle prophétique et divin. La fin d'un monde.
La fin de ce monde, racontée par Plutarque à travers le beau et ô combien bouleversant récit de la mort du Grand Pan, est d'ailleurs construite autour du souffle. Plutarque raconte que lorsque le navire aborde les îles Echinades, le vent tombe et le navire est entraîné aux parages des Paxes. C'est alors qu'une voix appelant Thamous lui demande d'annoncer, parvenu à la hauteur de Palodès, que le grand Pan est mort. Thamous décide que, s'il y a du vent, il passera sans rien dire le long du rivage ; lorsque le bateau croise à la hauteur de Palodès, sans "un souffle d'air", ni "une vague", Thamous dit alors : "Le Grand Pan est mort", et ses paroles sont suivies par un grand sanglot. Les interprétations sont nombreuses, mais la mort du Grand Pan semble signifier la mort des anciens dieux et du paganisme. Pour Eusèbe effectivement, "la mort de Pan sous Tibère signifie la fin du paganisme antique, vaincu par le Christ qui, dans l'Evangile, apparaît à plusieurs reprises chassant des démons - ces démons que les Pères de l'Eglise identifiaient aux dieux des païens. Le "grand" Pan dont il s'agit serait alors, non pas le dieu des bergers arcadiens, le compagnon velu des Satyres, des Silènes et des Nymphes, mais cette divinité suprême de la Nature que les stoïciens identifiaient à Zeus-Cosmos."
Hors l'oracle est lié au souffle du monde. Selon Christophe Bailly : "Avec les arbres, avec le vent qui agite leurs feuilles, la voix qui s'entend et qui est comparable au silence infini où s'abîme le poème, c'est la voix même de ce bruit, de ce qui, sans proférer, ni écouter, fait monde sous le monde. (...) A ce feulement, à cette voix sans vocation, les Anciens, on le sait, attribuèrent le pouvoir de l'oracle : dans ce sanctuaire des confins qu'était - et qu'est toujours en son repli venteux - Dodone, c'est le vent agitant les feuilles d'un chêne qui parlait pour le Dieu. L'oracle était ainsi présent dans l'épaisseur du stormire même, mais en ployant le feulement indéchiffrable vers un sens, en tant qu'énigme adressée à l'homme. Or le dieu est mort ou s'est tu (...)." "C'est cette voix, en tout cas, qui meurt avec Pan : la phoné ou le pli sonore qui hante le paysage grec, qui traverse la tragédie et l'oracle, qui se dissémine dans les fragments présocratiques et qui revient comme voilée et comme déjà perdue chez Platon et poètes alexandrins, c'est bien elle, non seulement reconnaissable mais pour ainsi dire intacte qui vient parler entre Paxos et Palodès, pour dire qu'elle s'en va, qu'elle se retire, qu'elle laisse le monde à d'autres voix. Et grande est la mise en scène de cet adieu sonore : un appel mystérieux, suivi d'un cri lancé à la poupe d'un navire sur une mer étale et sans vent, dans une passe." Le récit "a également une sorte d'évidence visuelle. (...) Ce que voit Thamous lorsqu'il lance son cri à la poupe du navire : c'est la terre vue de la mer, la nuit, le sombre pli des collines venant border une eau étale et encore plus sombre. Il y a peut-être de loin en loin des feux sur la rive et ces feux dans le ciel que sont les étoiles. C'est en tout cas une belle nuit, puisque les passagers s'étaient attardés à boire sur le pont. Or cette terre qu'ils voient, c'est la terre d'où les dieux se sont éloignés, si la mort de Pan a bien ce sens générique que tous aussitôt lui accordent. Par-delà cette mort, parfaitement immobile, le paysage reste inchangé. Le paysage que les dieux viennent d'abandonner ne fait que ressembler comme un frère au paysage où les dieux étaient présents, il s'agit du même paysage, et il est mystérieusement intact. Tel est le sens de tout deuil : que tout reste intact autour de lui. (...) L'absence des dieux est invisible, et cette invisibilité se propage sur toute l'étendue du visible et comme elle." C'est ce que nous lègue la mort de Pan et comment ne pas pleurer ?
"Le vent est tombé : il n'y a plus de vent, il n'y a plus de souffle, le grand Pan est mort ; sa mort a eu lieu et elle a eu lieu hors-champ. Pourquoi ce cri est-il bouleversant ? Pourquoi ce récit l'est-il ? L'émotion qu'il provoque est liée à celle que provoquent l'évocation d'un "été si chaud qu'il n'y avait plus de guêpes" dans Sicilia sicilia des Straub, ou celle de "L'hiver tueur d'oiseaux" dans l'Agamemnon d'Eschyle. [Ou encore celle des "Printemps silencieux" qu'annonce notre temps.] Quel est le chagrin ressenti ? Le silence est soudain le silence du monde désanimé." (cf annexes des dialogues pythiques).
Mais le vent souffle à nouveau ! Le vent se lève, il faut tenter de vivre... (P. Valéry) Il a soufflé tout au long de notre voyage, de zéphyr en tempêtes, de brise en mistral et gonflant notre voile ; porteur d'effluves en Grèce et d'aigles tournoyant en Norvège ; revenant dans les rêves de Yoann pour annoncer un monde nouveau, transportant les messages, alors... Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !/ Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;/ La terre a tressailli d'un souffle prophétique...
Connais-toi toi même (gnôthi sauton)
Rien de trop (médèn àgan)
Océane
juillet 12
Que c est beau! Mais quelle sendation ça doit être de marcher des ces lieux remplis d histoire!!!!
Puis qu'elle histoire!
La grotte c est quelque chose! La neige grandiose tes photos sont sublimes! J imagine aussi la danse des oliviers! J adore regarder les champs de blé danser alors j imagine assez bien cette vision hypnotique!
titania
juillet 13
Oui ne serait-ce que marcher dans les pas d'Alexandre ! Tu connais son histoire avec Bucéphale ? ça m'émeut toujours...
Cette grotte est incroyable, très particulière, au bout d'un sentier qui chemine dans les bois et que rien n'indique. Ici les légendes sont réelles.
Océane
juillet 16
Je connais un peu l histoire avec bucephale mais avant je n étais pas passionnée par l histoire et plus ça va plus je m y intéresse! Donc je pense approfondir tout ce dont tu parles! Après pour bucephale j en connais les grandes lignes.
Par contre la chèvre de m.seguin je connais et pleure à chaque fois sur le choix de cette biquette 😃d ailleurs l autre jour en lisant ton article quand tu as parlé de la chèvre de m.seguin je me rappelais le fameux passage et à mon grand bonheur tu l as mis!
Océane
juillet 16
Je fais ma curieuse mais je sais pas si c est faisable mais je serai curieuse d en savoir plus sur le yi jing! 😊
titania
juillet 17
La curiosité est une belle qualité 😀 Hi hi, le Yi Jing est comme un maître de vie exigeant qui te dit toujours ce que tu as besoin d'entendre et non ce que tu voudrais entendre, mais c'est aussi comme un ami sincère et toujours objectif qui t'aide à faire les meilleurs choix... Je t'en dis plus en mp si tu veux.
titania
juillet 17
Hi hi, moi l'histoire, c'est un des bénéfices collatéraux de la non-sco ! Callista se passionne pour tout ça et partage tout le temps avec nous ses trouvailles et ses lectures ! Et puis le voyage a renouvelé ma curiosité, tout de suite l'histoire semble moins abstraite quand on en connaît la géographie. Donc tu vois c'est très récent 😉
Ah la chèvre de M. Seguin, ça a beau être un "livre pour enfant", c'est de la grande littérature ! J'adore le choix de la petite chèvre et en même temps à chaque fois ça me dévaste...
Angélique Biller
juillet 14
WOW...! Oui, encore 😉
Je finis ton article les larmes aux yeux... Oui, encore 😉
Ce Monde Physique, si présent à travers les paysages et cultures de la Grèce, la Mer Méditerranée et ses multiples découpages d'où émergent des terres enneigées et des îles pleines des effluves des vents, les grottes et cavernes, les oliviers et les chèvres et pâtres, tous ces paysages bien réels que tu nous décris avec sensibilité et souffle inspiré... et dans le même lieu, les Mythes Fondateurs issus du Monde Symbolique, les échos de tous ces Personnages des épopées et odyssées qui ont laissé leur traces dans la Culture, les édifices et les coeurs/choeurs! Quelle sublimation en effet...! Quel Chaudron Magique - merci au Yi Jing de rappeler la Contenance de chaque étape dans toutes ses Fractales!
La Mort de Pan m'a profondément touchée... Tous ces textes merveilleux que tu cites mettent des mots sur le bouleversement ressenti. Et oui, le Vent se Lève! On entend doucement les murmures, complaintes et cris qui lui ont été confiés jadis. Ils répondent à ceux/celles qui demandent à les percevoir aujourd'hui - et permettent des réponses à nos tourments actuels. Pan, Chiron, les Licornes et les Dieux s'étaient éclipsés avec élégance pour nous laisser le champ libre, libre pour expérimenter. Mais dès qu'on fait appel à eux, ils reviennent avec joie pour nous aider. Pan est de retour! Ainsi que nombre de ses Amis...! Chic alors! <3
J'adore la photo de toi, les enfants et les loups devant l'entrée de la Grotte - surtout sachant que tu as gardé la première où tu étais bébé au même endroit: "La Vie répond à la Vie!" Et le Mont Parnasse: WOW!!! Quelle majesté!
Delphes et cette phrase qui nous éclaire dès qu'on se lasse de chercher à comprendre le Monde à l'extérieur de nous: "Connais-toi toi même, et tu connaîtras l'Univers et les Dieux"... C'est tellement ça le mode d'emploi de cette existence, hi hi hi!
Oh, et moi aussi, Alexandre et sa relation avec Bucéphale m'a toujours - depuis petite - émue et fascinée!!! Je les ai beaucoup dessinés!
titania
juillet 17
Oh Angé, merci <3 Toujours difficile de passer après toi qui as toujours les mots justes, une qualité de présence incroyable dans chaque phrase et qui pousse toujours l'analyse un cran plus loin pour me montrer des choses que je n'avais pas vues... Je ressors toujours enrichie de mes échanges avec toi !
Auriane
juillet 24
Une magnifique découverte en récit d'antan ♥ Les photos sont sublimes et j'ai l'impression d'y être allée, de connaitre ce lieu et peut être est-ce le cas, mon âme est peut être venu il y a des années...
C'est un très bel article, entre photos, récits et passage d'histoire, que de plaisir à lire, à découvrir. Merci pour cet article plein d'émotions.
titania
juillet 24
Merci Auriane <3 Cet article est un des plus précieux à mon cœur et pour cette raison, paradoxalement, je me disais qu'il ne serait pas compris ; je m'étais trompée visiblement ! Je comprends parfaitement ce que tu écris et ressens... C'est peut-être un lieu auquel tu auras envie de rendre visite, qui sait ?