Les secrets de l’Algarve

Les secrets de l’Algarve


"Il ne s'agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l'outrecuidance de le changer. Non ! Il suffirait de ne rien avoir de commun avec lui." S. Tesson, Les chemins Noirs

L'Algarve. Ce nom avait pour moi des saveurs de formule magique. Dans le froid et l'obscurité de cet hiver 2016/2017 où la mélancolie me guettait, il me suffisait d'y recourir, de le murmurer silencieusement, pour voir surgir dans le secret de mon âme une intense lumière qui chassait l'Ombre, des effluves de chaleur qui libérait mon cœur de la glace qui l'enserrait, et des plages paradisiaques autour desquelles une nature inventive avait sculptée la roche blonde pour en faire des tours, des arches et des ciels de lits sous lesquels j'aspirais à trouver un abri... Vous comprendrez ainsi aisément ce qui nous aiguillonnait sans cesse vers le Sud. Vers l'Algarve.

 Un jour du mois d'avril...

 Nous étions toujours à Samouqueiro (cf article précédent), près de la jolie ville blanche de Porto Covo, lorsque le week-end nous surpris et avec lui des hordes de touristes. Je résistai à l'envie de m'enfuir, quelle que fut la beauté du lieu. A ce moment-là, un coureur vint à passer près de notre bivouac au cours de son footing matinal et, innocemment, en jeune chiot curieux, Alanis se mit à le suivre nez au sol. Aussitôt, Callista contourna notre Château-Ambulant pour la rappeler... et trouver notre homme dissimulé derrière un buisson, essayant d'effrayer la petite chienne avec ses cris et ses gestes, muant la curiosité d'Alanis en incompréhension. La scène aurait pu être comique si l'homme - sportif, costaud et dans la fleur de l'âge - n'avait pas été si effrayé lui-même et si sa peur ne s'était pas transformée en humiliation lorsqu'il vit la jeune fille de 14 ans rappeler ce chiot qui l'avait réduit à une telle extrémité. L'humiliation ne tarda pas à se transformer en rage et au milieu de sa tirade en portugais, nous saisîmes les mots "Police ! Police !". Il était temps de prendre la tangente.

Nous longeâmes la côte vicentine par les petites routes au milieu des oliviers, des orangeraies en fleurs et des "forêts" de chêne-liège. Des lignes téléphoniques bordaient la route et, sur chaque poteau ou presque, nous découvrions un nid aux formes et au dimensions généreuses dans lesquelles une cigogne montait la garde ; parfois nous apercevions le bec d'un jeune cigogneau.

Quelque part sur la route du sud, nous décidâmes de faire escale à la plage de Carrapateira. La plage était déserte et pour cause ! Un vent violent y soufflait. Il suffisait de s'y abandonner pour ne plus en souffrir, mais la morsure du sable qui nous fouettait sans pitié, ça c'était plus que ne pouvait en supporter les garçons. Du haut d'un promontoire, nous avisâmes à l'autre bout de la plage des falaises qui sauraient sûrement nous protéger. La traversée fut douloureuse mais le lieu que nous découvrîmes en valait largement la peine : la roche y était rouge et bouillonnante (ou du moins semblait-elle s'être figée en pleine ébullition) et se mariait admirablement au bleu profond et changeant de la mer et du ciel et à l'or mouvant de la plage. Et nous y étions en effet largement à l'abri de la tempête de sable. Là, à l'entrée d'une arche discrète qui donnait sur une grotte, un château de sable aussi merveilleux qu'éphémère trônait sur les rochers dont il épousait délicatement les contours.

Le lieu de bivouac était animé. Ici personne ne redoutait nos chiens-loups. Des chiens erraient librement dans le camp, ainsi que des bandes d'enfants nu-pieds et une mule ! C'était joyeux et très différent des froids alignements de camping-cars de Samouqueiro mais encore trop peuplé à notre goût. Nous dînâmes dans un petit restaurant fréquenté par les touristes et les locaux : olives, soupe de légumes, poissons au chaudron, gâteau de noix et de figue et vino verde (vin vert). Au matin, nous partions.

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A l'extrémité sud du Portugal : Sagres, ville célèbre dans l'histoire de la navigation et de la piraterie. Je ne sais pas pourquoi, ça me donne toujours le tournis de penser à l'intensité historique de certains lieux... A partir de là nous prîmes la direction de l'est, le long des côtes de l'Algarve, enfin ! Cependant mes notes sont succinctes : c'est peu dire que nous fûmes déçus. Après avoir tant rêvé l'Algarve, sa découverte fut comme une claque. Violente. Douloureuse. Tout y était urbanisé à l'extrême, dédié au loisir, au divertissement et au tourisme. "L'aménagement est la pollution du mystère" avait compris S. Tesson dans ses Chemins Noirs. Au pied de barres d'immeubles, des sortes de terrains vagues pour entasser les touristes. Sur les parkings, les alignements de centaines de camping-cars. Sur les plages, les alignements de centaines de transats. Nous avions mal d'être assimilés à ces envahisseurs. Nous continuâmes de rouler vers l'est, l'espoir allant s'amenuisant. Mais l'Algarve avait la réputation de conserver en son sein la plus belle plage du pays et l'une des plus belles plages du monde : Marinha. Nous nous étions donc naïvement engagés sur les sentiers trop piétinés. L'odeur de la crème solaire masquait les parfums de l'Océan comme ceux de la garrigue. Un jeune et gentil couple me demanda de les photographier sur une pointe rocheuse surplombant l'océan, insensibles au lieu qui les entourait et qui ne leur servait que de faire-valoir. Je prenais consciencieusement quelques clichés, c'est que la demoiselle en minishort et soutien-gorge se donnait tant de mal pour parvenir à bomber à force de contorsions aussi bien son fessier que sa gorge. La promenade fut heureusement sauvée par l'apparition d'un ravissant couple de guêpiers aux couleurs chatoyantes.

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Le moral en berne, nous fîmes demi-tour à la fin du jour, direction l'ouest : j'avais un dernier espoir. Le parking était plein, la plage disparaissait sous les parasols. Comment vous décrire la traversée de notre équipage de chic et de choc au milieu des corps étendus ?! Nos trois "loups" firent sensation... De nous cinq, ce fut Yoann - déjà accablé par cette journée - qui supporta le moins d'être ainsi transformé en phénomène de foire. Mais nous gardâmes courageusement notre cap vers les rochers. Peu à peu, la plage se fit moins fréquentée et tout soudain, après avoir passé une puissante arche dans la roche, nous nous retrouvâmes dans un univers complètement différent. A cette heure le lieu était désert : le soleil achevait tout juste de s'abîmer dans l'Océan, laissant des roses et des bleus peindre l'eau, le sable et la roche de tons pastels. Au même moment, se levait derrière nous la Lune, ronde et pleine. Des tunnels et des arches creusés par l'eau dans la roche permettait de passer de crique en crique, chacune plus belle et plus spectaculaire que la précédente. La journée était sauvée. "Il fallait les chercher, il existait des interstices. Il demeurait des chemins noirs. De quoi se plaindre ?" concluait S. Tesson dans son dernier livre. Oui des interstices, ou en l'occurrence des tunnels de roche au soleil couchant. C'est littéralement à travers eux que nous nous étions faufilés aujourd'hui pour arriver au pays des merveilles.

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En guise de conclusion...

Cette nuit-là Yoann rêva qu'il était un enfant qu'on emmenait en dernier recours dans un couvent. Là, une sœur très imposante vêtue d'une robe de bure et d'une guimpe blanche répondant au nom de Sœur Carole lui retira - avec les dents ! - une sorte de grosse écharde pointue de cinq ou six centimètres de long qu'elle enveloppa dans un linge blanc avant d'aller la brûler afin qu'elle ne blesse plus personne. Il dut rester au couvent plus d'une année pour parachever sa guérison. Au réveil, il était un homme neuf, débarrassé de son mal-être de la veille. Est-il farfelu d'imaginer que la peine qu'il avait ressentie en découvrant ce que l'homme avait fait ici à la Nature avait pris la forme d'une écharde plantée profondément ?

Commentaires

  1. Océane

    juillet 20

    Je lis ton blog en nourrissant les chevaux je ne pouvais pas attendre!!! Tes photos sont merveilleuses mais je suis sûre qu elles ne rendent pas autant que la beauté naturelle de ces lieux!!!! Finalement il ne faut jamais se contenter de peu mieux vaut creuser un peu et trouver de petits trésors! !! En tout cas ça me donne envie de découvrir cet endroit! Vraiment magique merci pour ces photos!!!!!

    • titania

      juillet 20

      Oh je suis très heureuse de t'avoir accompagnée auprès de tes chevaux ! Tu as raison, les photos ne rendent pas suffisamment hommage à ces lieux (et puis même en poussant mon appareil du mieux que j'ai pu, elles sont loin d'être parfaites, mais il me suffit de les regarder pour me souvenir...). Oui il faut chercher, et avec un peu de ténacité on trouve toujours : l'Europe est belle et par endroit elle est aussi sauvage.

      • Océane

        juillet 24

        Oh non tes photos sont parfaites!!! Mais je te disais dans le sens où et ça m arrive souvent sur les photos on ne peut pas capturer les sensations que ça a nous laisse ! Moi je trouve tes photos parfaites ne change rien et continue! Toi à chaque fois que tu les regarderas tous les souvenirs remonteront ce qui les rendra encore plus magiques! Et si un d entré nous se rend dans cet endroit on souvenirs rappelera tes mots et on ressentira à notre tour des émotions. J endroits père ne pas tour avoir vexer ce n était pas négatif envers tes photos😊 j aimerai tellement tomber sur le chateau éphémère mais il n y sera sûrement plus mais grâce à toi il est la a jamais devant nos yeux!

        • Océane

          juillet 24

          Desole pour les fautes parfois c est juste incomprehensible ma correction auto a des beugs

          • titania

            juillet 27

            Non non, ne t'inquiète pas, c'est que je suis moi-même toujours trop conscientes des imperfections, le manque de lumière sur l'Algarve, c'était si beau à voir et si difficile à rendre par la photo... Heureusement que les mots et les images se complètent pour tisser un tableau plus complet. Après il y a la peinture pour aller plus loin.

    • Océane

      juillet 31

      Tu prends les photos en raw?

      • titania

        juillet 31

        Oui 😀 Toi aussi ?

  2. Thilda Lehacque

    juillet 20

    Ah ! Les hommes de ce temps ont cru que seuls comptaient le Bien et le Vrai, les gens sérieux n'avaient rien à faire du Beau ... Mais quand on injurie la Beauté, les deux autres transcendentaux s'effondrent. Merci pour ce témoignage que vous rendez à la Beauté du Monde !

    • titania

      juillet 23

      Oui et ça s'est vérifié une fois de plus... Le beau, le juste, le vrai forment un tout.
      Merci <3

  3. Thilda Lehacque

    juillet 20

    Ah ! Les hommes de ce temps ont cru que seuls comptaient le Bien et le Vrai, les gens sérieux n'avaient rien à faire du Beau ... Mais quand on injurie la Beauté, les deux autrestranscendentaux s'effondrent. Merci pour ce témoignage que vous rendez à la Beauté du Monde !

  4. Auriane

    juillet 29

    Je partage votre déception quand à la découverte d'une plage envahie de touristes et de l'urbanisation des lieux naturels pleins de beauté et de paix.
    Depuis ma naissance, ma soeur et moi-même allions tous les ans en vacances avec nos grand-parents sur leur terrain non loin de la mer (dans le Morbihan). Un terrain tout simple avec un seul cabanon construit au fil des ans et des caravanes. La bouteille de gaz seule pour nous chauffer et des batteries pour l'électricité. Cela à toujours été un endroit calme, loin de tout ou nous avons appris à faire du vélo ou encore à lire l'heure. C'était notre bonheur en dehors de la civilisation. Malheureusement, la mairie à récupérer le terrain et celui-ci est à présent coupé en parcelle pour les touristes, avec électricité, wifi, gaz pour tout le monde.. Lorsque je suis arrivée après le changement je me suis pris une claque et ça me fait mal de me dire que mes enfants ne pourront pas profitez de ce terrain qui nous était cher... Néanmoins je me fais la promesse qu'ils découvrirons cette vie que j'ai eu et cela, je le souhaite, durant toute leur vie.

    En tout cas, si votre déception à été longue, vous avez été récompensés. Il ne faut jamais abandonné, c'est toujours ce qu'on dit.
    Je voudrais vous remercier d'avoir partagé le rêve de Yoann. Quand on est connecté•e, ouvert•e et attentif•ve, notre esprit nous fait comprendre de grande chose.
    Merci encore pour ce partage et ces sublimes photos qui ne manque pas de m'émerveiller.

    • titania

      août 1

      Oh j'imagine ta peine effectivement... Il y a tant de joie à faire découvrir à ses enfants, ce qui a vraiment compté pour nous lorsque nous étions enfants nous-mêmes. Je m'apprête à emmener mes deux plus jeunes dans le petit coin des Alpes où j'ai passé tous mes étés d'enfance, et qui a contribué à faire de moi ce que je suis aujourd'hui. On observait les étoiles et les aigles royaux... Aujourd'hui, on n'a plus le droit d'y camper, ni de faire des feux de camp, mais au moins la montagne, elle, n'a pas changé.
      Quant aux rêves, j'hésite toujours à les partager, ils sont si intimes, ils révèlent tant de choses, mais en même temps ils sont la preuve presque tangible de tant de processus conscients ou inconscients, la preuve qu'il y a "autre chose"...
      J'ai eu beaucoup de plaisir à te lire, encore merci d'avoir pris le temps de partager ta propre expérience <3

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