Rencontre avec les chevaux sauvages des Chilcotin

Rencontre avec les chevaux sauvages des Chilcotin


On raconte que certains chevaux, des mustangs, meurent si on les enferme. Le cow-boy qui nous fait cette confidence a assisté plusieurs fois à la scène : des chevaux sauvages sont embarqués dans un camion, la porte se referme brutalement, et tout-à-coup l’un d’eux est pris de violents tremblements. Dès lors, il n’y a plus rien à faire. Celui qui jusque-là n’avait connu que la frondaison des arbres pour toute protection, n’avait eu rien moins que l’immensité des cieux étoilés pour couverture, enfin celui qui n’avait jamais bronché devant les dangers des hautes terres, s’écroule.

Or les récits des pionniers rapportent quelque chose d’assez similaire au sujet des tribus locales, des peuples qui se renforçaient au contact d’une nature et d’un climat rudes, et qui mourraient inexorablement, une fois placés entre les quatre murs d’une maison.

Mustang ou Tŝilhqot’in ; aucun ne savait endurer une cage.

Observation des chevaux sauvages des Chilcotin

Ma fille, Callista, en pleine observation pour son étude des chevaux sauvages des Chilcotin

Ils sont plus d’une centaine à paître autour du point d’eau en ce début du mois de juillet. Des dizaines d’étalons, des juments en plus grand nombre encore, et leurs nouveau-nés. Ils pâturent entre lacs, forêts denses et espaces ouverts au cœur de la Nemaiah Valley et des vestiges du grand incendie de 2017, comme des bêtes sauvages, comme si c’était la seule vie possible pour un cheval, ignorant tout du quotidien de leurs frères et sœurs domestiques, se contentant, à chaque nouvel obstacle, d’inventer et de tracer un nouveau sentier. Moi-même en les regardant, je m’étonne de cette facilité avec laquelle les chevaux se lient à nous et acceptent de se modeler.  Ce jour-là, les chevaux roans ou bais sont les plus nombreux mais toutes les robes sont à peu près représentées. Les mustangs ou la manifestation du chatoiement du monde. Les différents harems (de deux à douze individus) évoluent côte-à-côte, tout-à-fait pacifiquement et certaines hardes comptent même deux entiers.

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Soudain, un cri retentissant : c’est un remarquable étalon blue roan qui provoque un autre mâle ; aussitôt les encolures s’enroulent, les crinières s’envolent, les sabots battent l’air entre les arbres calcinés. Mais les autres chevaux ne leur prêtent aucune attention. Deux poulains appartenant à un troisième groupe viennent même se promener nonchalamment près d’eux, ils savent que nul dans ce grand troupeau n’aurait l’idée de les tourmenter ; ce ne serait pas la première fois que les sauvages seraient les plus civilisés.

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Puis le calme revient. Une minuscule pouliche à la robe cuivrée émerge alors des hautes herbes pour nous dévisager de ses grands yeux curieux et timides qui découvrent tout juste le monde. Un autre tète goulûment, un autre encore est profondément endormi, les plus effrontés errent déjà en quête d’aventure. Je mesure tout à la fois la précarité de leur existence et la richesse de leur vie et de leur environnement : complexité des relations sociales et de l’éducation, stimulation de tous les sens y compris la proprioception, entraînement de leurs capacités physiques et de leurs intelligences. Connexion enfin. Car ces chevaux savent avant tout comment tisser du lien avec l’univers qui les entoure. Or comme Sylvain Tesson, je crois à un usage du monde selon le principe de l’école buissonnière, salutaire aux petites filles de ce temps comme aux pouliches, mais pas seulement. Ouvrons les portes, toutes les portes. Il y a des échappées possibles. Je suis venue chercher ici ce que je ne trouvais pas dans les livres.

Pouliche mustang dans les Chilcotin

Le Canada ne compterait que quatre troupeaux de chevaux sauvages ; or deux de ces troupeaux vivent ici-même, dans la Chilcotin, où leur présence est attestée depuis au moins deux cent cinquante ans (les chevaux auraient précédemment disparu du continent américain il y a environ 8 000 ans). On recense ainsi actuellement sur le plateau plus d’un millier de « mustangs », un terme espagnol désignant autrefois les animaux errants. Peut-être parce que j’ai moi-même longtemps erré, j’ai une certaine affection pour les vagabonds comme eux. Tous ceux qui errent ne sont pas perdus, n’est-ce pas… Or ces valeureux petits chevaux à la résilience biologique remarquable suscitent un intérêt croissant chez les universitaires et les scientifiques après qu’une étude génétique a offert une explication inédite et surprenante de leurs origines. Bien qu’il reste encore possible que d’autres chevaux sauvages rencontrés en Colombie-Britannique par les premiers européens aient bel et bien été des descendants de ceux introduits par les espagnols en Amérique au début du XVIe siècle, les nouveaux tests ADN effectués sur les chevaux du Brittany Triangle ou Tachelach’ed – la zone la plus isolée de la Chilcotin – ne montrent aucun lien de parenté avec ces anciens troupeaux ! En revanche, l’étude a révélé que ces mustangs sont très proches du cheval canadien (le cheval national du Canada dont les origines sont françaises) et, plus stupéfiant encore, que leur code génétique les relie également au cheval Yakoute de Sibérie ! Le Canadian Horse est une race qui a été créée à partir des spécimens envoyés au XVIIe siècle par Louis XIV ; on dit même que certains de ces chevaux étaient issus des propres écuries du roi. Le fait qu’ils soient génétiquement liés aux chevaux de la Chilcotin indiquerait que les premiers chevaux européens à arriver sur la côte ouest du Canada venaient en fait de l’est du pays et non des Etats-Unis comme on le pensait initialement. Quant au cheval Yakoute, il est petit et compact, parfaitement adapté à la vie au-dessus du Cercle Polaire Arctique. C’est une race étrange - les juments n’ont notamment pas de mamelles externes en raison du froid - et considérée comme l’une des plus anciennes encore existantes. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’un récit oral des Premières Nations mentionne l’existence d’une bande de chevaux de la taille de poneys qui vivaient autrefois dans la Chilcotin avant d’être abattus par une patrouille forestière. Mais l’étude soulève plus de questions qu’elle n’en résout ; comment diantre ces chevaux sauvages, isolés du reste du monde, peuvent avoir de lointains ancêtres russes ? C’est toujours un mystère.

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En Nenqayni Ch’ih, la langue des Tŝilhqot’in, « cheval » se dit naŝlhiny. C’est que Naŝlhiny et Tsilhqot’in sont profondément liés. Les tribus Yuneŝit’in, Xeni Gwet’in et Tl’etinqox sont aujourd’hui encore parmi les plus grands défenseurs de ces mustangs, symboles de la Chilcotin et de la vie sauvage qui s’y épanouit. Peut-être parce qu’ils ont autrefois été une des rares tribus victorieuses face aux colons en remportant la Chilcotin War, ils sont toujours aussi engagés et combattifs. Ils savent aussi qu’en sauvant les chevaux, ils ont une chance de se sauver eux-mêmes et d’offrir un espoir aux nouvelles générations. Afin de lutter contre le projet d’exploitation minière, ils œuvrent depuis quelques années à la création d’un parc tribal, le Dasiqox Tribal Park, et s’appuient notamment sur la présence des chevaux sauvages pour justifier la préservation de cette région sacrée à bien des égards. Dans le même temps, les ranchers de Big Creek tremblent et craignent de perdre les terres qu’ils louent à la Couronne. Les crimes commis dans les siècles précédents comme les difficultés à se réinventer aujourd’hui n’en finissent pas de nourrir les conflits actuels. Notre époque n’est-elle pourtant pas aux pas de côté, ni fuite en avant ni retour en arrière, mais engagement dans des voies résolument nouvelles ? Nous pourrions miser sur l’improbable et essayer de retrouver la conscience d’une communauté de destins humains (Edgard Morin). Nous pourrions rêver de nouveaux rêves. En attendant, les escarmouches continuent de ternir le quotidien et la haine de l’un, à nourrir la haine et la suspicion de l’autre. Dimanche matin, un truck s’est arrêté à l’entrée du ranch. Un policier en est descendu, gilet pare-balles et pistolet à la hanche. Il cherchait le pont que des indigènes venaient de brûler pour empêcher l’accès à la mine d’or. Quelques jours plus tard, c’est un indien qui a fait signe à Yoann sur la route du retour. Pensant qu’il avait besoin d’aide, Yoann s’est arrêté. L’homme empestait l’alcool. « Vous allez où ?! » Prudent, Yoann a esquivé : « Chez nous… ». Mauvaise réponse. « C’est pas chez vous ici ! ».

Nous sommes les étrangers.

Je suis l’étrangère.  

Commentaires

  1. Auriane

    mars 15

    Récit fort et beau. Entre la beauté des mustangs, leur histoire et les combats entre humains, on se demande qui est vraiment sauvage... Merci pour ce partage Titania et ces connaissances très intéressante.

    • titania

      mars 15

      Merci Auriane, oui on trouve la paix auprès des chevaux et on essaie ensuite de l'emmener dans le monde extérieur...

  2. Océane

    mars 15

    Toujours un plaisir de lire tes articles! T’es photos des mustangs sont magnifiques! La pouliche quelle beauté! Incroyable la génétique de ces troupeaux! Je me régale avec tout ce que tu nous partages!
    Mille merci 😘

    • titania

      mars 15

      Merci Océane ! Oui cette petite pouliche m'a touchée en plein coeur... Depuis avec Callista, on apprend tout ce qu'on peut sur ces chevaux et on va de surprises en découvertes

  3. Océane

    avril 9

    Coucou la tribu,
    Alors que je me régale à relire ton blog, je tombe sur cet article sur les chevaux sauvages et je lis les mystères de ces fameux chevaux des Chilcotin! Savais-tu qu'il y a un super livre qui est sortit il y a 1-2 ans environ, "la conquête du cheval" de Ludovic Orlando, il retrace l'histoire du cheval depuis sa domestication! se rendant compte qu'il y avait déjà à l'époque des élevages et de la sélection!
    Je vous embrasse tous!

    • titania

      avril 11

      Coucou Océane, non je ne savais pas, merci pour l'info ! Depuis un livre est également sorti sur les chevaux des Chilcotins (de McCrory) avec tout ce qu'on sait actuellement sur le sujet ainsi que leur place dans l'écosystème. On t'embrasse

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