Norvège : La magie continue
Norvège. Des plateaux déserts et sauvages, des hardes de rennes, des fleurs cotonneuses qui se balancent délicatement dans le vent, des aurores boréales d'une beauté irréelle et au bout du chemin, une rencontre inattendue.
"Le bonheur ne vaut que s'il est partagé" Alexander McCandless
25 septembre 2017 - Douce matinée près d'un bras de rivière large et paisible. Sur le pas de la porte, Callista qui brosse ses longs cheveux encore humide de la douche. La voix de Milan : "Les mains en l'air, gredin !". Puis les doigts adroits de Mallory qui s'exercent à confectionner un canoë miniature en écorce de bouleau. Le soleil sur leurs bras nus. Les chiens font les fous dans les épilobes, agitant les longues tiges et dispersant leurs graines innombrables et duveteuses dans la brise. Les garçons se joignent finalement à eux et courent avec enthousiasme au milieu de la neige végétale qui s'accroche à leurs vêtements en espérant être transportée en un lieu propice, ailleurs, bien loin d'ici ; l'épilobe, plante pionnière... Ne pas hésiter à voler sur les ailes du vent pour renaître dans de nouveaux territoires. Le vent se lève. Il faut tenter de vivre. (Paul Valéry)
Nous roulons d'est en ouest, à travers des plateaux montagneux et déserts, bien au-dessus de la limite des arbres. Ca et là, des lacs aux fleurs de coton poétiques et délicates et des hardes de rennes timides et agiles. De loin en loin, nous croisons des maisons saamii ; des peaux de rennes encore ensanglantées clouées aux murs de bois. Le paysage âpre et rude s'étend à perte de vue. Tandis que le soleil descend doucement vers l'horizon, deux aigles tournoient avec grâce.
Comme d'habitude, improvisation totale sur la direction, la destination et le prochain lieu de bivouac. En fin de journée, nous repérons une piste caillouteuse qui monte vers un replat surplombant le fjord. A peine le moteur éteint, Yoann est déjà en train de rassembler du bois et commence à préparer un feu. Si les journées sont agréables, le soir - en revanche - le froid tombe et on aperçoit d'ailleurs, à l'ombre, des îlots de neige qui s'attardent ; dans ces conditions un feu de camp est particulièrement apprécié la nuit venue. Quant à moi, je pars à pied vers les hauteurs pour accompagner nos trois chiens-loups qui ont besoin de se dégourdir les pattes après ces heures de route. Marcher seule avec eux m'apporte toujours un sentiment de complétude et une légère ivresse ; la fierté farouche de marcher avec les loups, parmi les loups. Comme aux premiers âges. Le sentiment est décuplé au sein de ces lieux inconnus et sauvages. C'est d'ailleurs la première magie du voyage : explorer chaque jour de nouveaux sentiers et, quand il n'y en a plus, suivre ceux tracés par les bêtes. En cet instant, j'aspire à être une louve, bien plus qu'aucun loup n'a jamais aspiré à être humain. La meute se déplace d'un trot rasant et silencieux. La nature leur fait comme un écrin et les sublime ; mais leur simple présence magnifie également le paysage. Loin de tout regard, simplement pour la beauté du geste - ou plus certainement parce que le geste juste est toujours parfaitement beau -, tous trois s'avancent majestueusement au sommet d'un amoncellement de roches rondes. Leurs silhouettes se découpent sur le ciel crépusculaire. Parfaitement immobiles, ils embrassent le paysage, c'est-à-dire que dans un même élan de l'esprit, ils s'ouvrent à ce qui s'offre à leurs sens et enclosent en eux la perfection de cet instant. Nous rentrons tous quatre dans l'obscurité naissante ; la lueur du feu nous rappelle comme celle d'un foyer.
26 septembre 2017 - Seule la tenue de ce journal me permet de tenir le compte des jours. Petits lacs, cascades, plateaux nus et forêts d'arbres nains se succèdent sans fin. Nous nous tenons désormais à la verticale du Cap Nord, deux-cents kilomètres plus au sud, sur les rives d'un fjord - les fjords rendent les Aurores Boréales doublement impressionnantes. Des phoques aussi timides que discrets percent de leur tête la surface uniformément lisse de l'eau. Contrairement à leurs cousins écossais, ils semblent se méfier de nous, se méfier de l'homme. C'est qu'ici, en Norvège, ils ont été longtemps chassés car ils faisaient concurrence aux pêcheurs. Ah bon, cette histoire vous en rappelle d'autres ? Les garçons cherchent des "trésors" : coquillages et exosquelettes de crustacés - et notamment les énormes pinces des araignées de mer. Et Alanis ... fait de même ! Il n'est pas rare d'observer ce rassemblement par âge - les enfants d'un côté, les adultes de l'autre -, plutôt que par espèce. Alanis adore la diversité des activités des garçons ; Atala et Diurach apprécient davantage notre humeur tranquille, paisible et contemplative. Mallory, son sac médecine autour du cou, vérifie régulièrement sur le smartphone l'activité solaire et le Kp (le Planetary K-Index qui exprime la magnitude des tempêtes géomagnétiques) : pour lui, le tissage du traditionnel et de la modernité semble aller de soi. Il vit de façon naturelle ce que Sylvain Tesson a davantage théorisé : "La vie dans les bois offre un terrain rêvé pour cette réconciliation entre l'archaïque et le futuriste. Sous les futaies, se déploie une existence éternelle au plus prés de l'humus. On y renoue avec la vérité des clairs de lune, on se soumet à la doctrine des forêts sans renoncer aux bienfaits de la modernité." De même, lorsque nous quittons la chaleur de notre feu de camp, c'est toujours pour retrouver la lumière produite par les panneaux solaires posés sur le toit du camping-car et qui garantissent notre autonomie. Notre château-ambulant "abrite les noces du progrès et de l'antique".
Pendant que le thé vert infuse, Yoann et moi descendons sur la grève, pour aller "toucher l'eau". Tous les phoques ont disparu alors je me retourne pour recevoir la chaleur du soleil dans mon dos. C'est alors que j'entends "un bruit" derrière moi. Par là, je veux dire que je viens d'entendre quelque chose que je n'avais jamais entendu auparavant. Mon esprit peine à analyser l'information tant la conclusion lui paraît exceptionnellement belle et exagérément exceptionnelle, presque irréelle ! Car ce souffle qui a résonné dans le silence est bel et bien celui d'un cétacé ! Quand nous nous retournons d'un même mouvement, Yoann et moi, nous voyons distinctement les ailerons sombres et courbés qui émergent régulièrement du miroir rose et bleu du fjord, avant de replonger. Le profil bombé de leur tête ne laisse bientôt plus aucun doute : c'est un couple de globicéphales noirs qui est en train de traverser le bras de mer dans toute sa longueur. L'heure est parfaite, le soleil a presque disparu et les montagnes se succèdent à perte de vue dans un dégradé infini de bleu.
27 septembre 2017 - Le soleil ne monte désormais plus très haut mais il y a toujours ce ciel limpide et cette lumière intense qui semble propre à la saison et à la latitude. Nous sommes à peine levés qu'une bande de globicéphales traverse à nouveau le fjord ! Le temps d'enfiler une paire de baskets (ce qui n'est pas une mince affaire avec mon lumbago), d'attraper l'appareil photo et d'intervertir les objectifs, ils sont déjà loin. Quelques minutes passent et Callista me rappelle en trépignant : un globicéphale passe à quelques mètres de la rive dans les eaux transparentes avant de s'évanouir dans le lointain. Quelle chance nous avons de partager tous les cinq la même folie ! "La folie ne vaut que si elle est partagée" aurait aussi bien pu écrire Alexander McCandless dans ses carnets.
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vers le cap nord suite 074
Océane
avril 12
Sublime!!! Que de rencontres fabuleuses!!!
Mais je reste persuadée que moins tu attends et provoque les choses plus elles te sont offertes!❤
Les globicephales merveilleux....
Ton récit que ce soit pour les chiens les enfants tout c est parfaitement envoûtant! Je te remercie de partager ce bonheur avec nous!! C est touchant.
Des bisous à vous tous!
titania
avril 19
Merci Océane... En voyage on est plus libre que jamais de se laisser aller à suivre "la chance", "les signes", en somme le chant du monde, sans appréhension ni plan préconçu et le résultat est époustouflant. Reste que la Scandinavie est une terre de rêve, je veux dire par là une terre où les rêves deviennent réalité !
Angélique Biller
avril 13
Oh WOW! Complètement féerique!!! Grâce à tes mots, j'étais vraiment avec vous en contemplation de la majesté de cette Nature préservée. Incroyable la rencontre avec les globicéphale dans leur paysage natif! Pour moi, avoir le privilège d'observer/rencontrer les animaux dans leur espace relève d'un cadeau qu'ils nous offrent volontairement - "je t'accorde le droit de me voir". Et à chaque fois, je le reçois avec une immense gratitude et de l'humilité, ils pourraient ne pas me permettre de les admirer 😉
Et les photos des aurores...!!! Rhôôô! Merciiii!!!!
titania
avril 19
Oui tu as raison, c'est un immense cadeau, et quand en plus les regards se croisent, on en reste bouleversé à jamais...
Doris
avril 13
Juste ..Merci !
Merci de partager ces instants magiques avec nous, et de les sublimer par votre écriture si vraie.
titania
avril 19
Et je vous dis merci à mon tour, merci de m'avoir lue et d'avoir pris le temps d'écrire ces quelques mots ; je le dis à chaque fois : ça m'est précieux !
Thilda Lehacque
avril 14
Bon, je comprends pourquoi Apollon aimait tant aller festoyer chez ses amis hyperboréens ! C'est que la lumière là-bas est à nulle autre pareille ! Les corps sublimés s'y meuvent comme dans un espace différent, tout semble fait de pierreries et la mer étend ses nappes d'opale ... Merci à toi de nous partager ces merveilles !
titania
avril 19
Oui la lumière est si particulière, même en cet automne où les jours raccourcissent et le soleil monte de moins en moins haut... Une terre inoubliable, de celles qui vous laissent une empreinte de nostalgie à jamais...
Coraly
avril 15
Magnifique! Voyager avec toi en lisant tes ecrits poetiques.. Quand je reçois la newsletter et que je n'ai pas le temps de les lires je me les gardes tjrs de coté pour les lire au calme. A chaque fois cela reveille mon coté sauvage...je pars avec toi et wahhh les globicephalées m'ont ainsi donnés le meme frissons que toi..merci!
titania
avril 19
Merci à toi, "réveiller la part sauvage qu'il y a en chacun de nous", c'est un des plus beaux compliments que tu pouvais me faire, encore merci !
michelle
avril 26
quelle magie ! on se laisse envoûter par les textes, les images ; sublime....
titania
avril 26
Merci Michelle !!
Auriane
mai 5
"Happiness only real when shared" cette citation résonne en moi, cette histoire résonne en moi depuis bien longtemps.
Il y a deux citations de Christopher McCandless correspondent parfaitement à votre voyage : "La joie de la vie vient de nos rencontres avec de nouvelles expériences, et donc il n'y a pas de plus grande joie que d'avoir un horizon infiniment changeant, pour chaque jour d'avoir un nouveau et différent soleil." & "Je ne veux pas savoir quelle heure est-il. Je ne veux pas savoir quel jour c'est ou où je suis. Rien de tout cela ne compte." ♥
De belles rencontres inattendues car après tout ce sont celles qui sont les plus merveilleuses. Merci.
titania
mai 27
Oh merci pour ces citations qui font mouche !! Je te les réemprunterai c'est certain !