Imparfaites, libres et heureuses…

Imparfaites, libres et heureuses…


Une interview d'Atala

"Ça me plait d'être encore sauvage. On oublie à quel point nous sommes sauvages. Je suis hanté par ce qui est antérieur à la culture. J'ai la nostalgie d'avant la civilisation." Maurice Chaudière

Aujourd'hui, une "interview" d'Atala - chien-loup de saarloos de sept ans - qui doit son nom à l'œuvre de Chateaubriand : Atala et René,  une histoire d'amour entre une indienne du Nouveau Monde et un français. Notre Atala serait-elle une grande romantique ? C'est en tout cas la sensation donnée par son port altier, presque dédaigneux et pourtant quand elle vous fixe de son regard mordoré on a la sensation d'une grande douceur associée à une franchise désarmante. Un regard qui sonne aussi comme un défi : serez-vous prêt à la suivre par delà les frontières de l'humanité ? A moins qu'Atala ne vous entraîne plus justement au cœur même de votre humanité...

Atala, c'est un honneur de te rencontrer...

C'est moi qui vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer. Ce n'est pas si fréquent que la parole soit donnée aux chiens ou aux loups...

Justement, question classique j'imagine, es-tu un chien ou un loup ?

Je suis un chien-loup. Je pense que la réponse est là, je suis une métisse en quelque sorte, mi-chien mi-loup. Ou peut-être ni chien, ni loup... Il m'a été parfois difficile de me situer par rapport à ces deux héritages.

 Voudrais-tu nous en dire davantage sur ton vécu et ton ressenti de ce mariage du sauvage et du domestique ?

Les hommes disent que je suis un chien. Pourtant, quand je vois les autres chiens, je ne sais pas, je me sens différente. Parfois, je me sens même différente des autres chiens-loups que je côtoie. Il y a une petite voix à l'intérieur de moi qui m'appelle, qui me parle de forêts profondes, de chasse et de gibier, de silence et de beauté. Cette voix se fait toujours plus forte au crépuscule, à cette heure qu'on appelle justement "entre chien et loup". Titania - ma compagne de vif - le sait bien elle. En partie parce qu'elle lit en moi, en partie parce qu'elle entend aussi la voix. Elle m'appelle avant que l'envie de m'élancer soit la plus forte, me chuchote "plus tard, plus tard" et me tire de ma rêverie. Alors je m'ébroue, j'entends et je ressens à nouveau la chaleur du foyer autour de moi, je retrouve le rire des enfants, les sollicitations d'Alanis et les attentions de Diurach [tous deux chiens-loups de saarloos NDLR]. Et je songe que c'est aussi cela l'esprit de la meute : veiller sur les petits, se protéger les uns les autres, se sentir forts et en sécurité ensemble. J'avoue que j'ai également un faible pour le feu des hommes et j'aime à passer l'hiver tout contre la cheminée, quitte à sentir le roussi et à voir une partie de ma fourrure partir en fumée. J'aime aussi vos doigts agiles qui enlèvent les épines, grattent les oreilles, et lissent ma fourrure et je n'hésite pas à réclamer à grands coups de pattes ces caresses à ceux que j'en juge dignes. 

Tu parlais de "compagne de vif", qu'est-ce ?

Oh c'est une expression que j'ai entendue une fois et que j'ai retenue. Certains saarloos ont la spécificité de se lier à un humain en particulier, tandis qu'ils ont de l'affection pour quelques uns et de la méfiance ou du dédain pour tous les autres. Mais je ne crois pas qu'il y ait un mot dans votre langue pour décrire ce lien. Un "maître" ce serait très éloigné de la réalité, ces saarloos n'ont pas de maître. Un "partenaire" ou un "ami", ce ne serait pas assez spécifique. Alors à mon sens, "compagnon de vif" décrit bien cette relation inter-espèce privilégiée, cette connaissance mutuelle qui se passe de mots, cette communion d'esprit à esprit, ce cheminement en miroir, ce... Comme une mémoire du premier pacte entre l'homme et le loup, sans cesse rejoué, sans cesse réaffirmé. Le vif existe et des hommes et des femmes se souviennent.

Tu nous as dit comment tu percevais les humains en général, peux-tu nous dire comment eux te perçoivent ?

Mmmh... Jamais avec indifférence, ça c'est certain ! Je rencontre beaucoup d'humains au cours de ce voyage autour de l'Europe et dans le regard de la plupart d'entre eux je lis de la fascination. C'est beaucoup plus qu'une simple réaction à la nouveauté, tout se passe comme si quelque chose dans mon apparence extérieure venait chatouiller quelque chose à l'intérieur d'eux, quelque chose dont la plupart du temps ils n'ont pas conscience. C'est porteur d'espoir ! Cela signifie que d'une certaine façon, tous les humains ou presque entendent la petite voix qui parle de forêts profondes et de longues courses sous les étoiles.

Atala s'est interrompue et semble à nouveau pensive. Je l'encourage :

 Qu'y a-t-il ?

Je pensais... Une fois, une femme a demandé à quoi je "servais" et a conclu d'elle-même que je ne servais à rien. Ca a plus affecté ma compagne que moi ! [Rires] Mais tout de même, je me suis demandée ce que recouvrait cette notion d'utilité. L'obéissance ? Le travail ? C'est tellement humain cette façon de penser. C'est vrai, je ne garde pas les moutons - entre nous ce serait bien plus sensé de les manger ! [Rires à nouveau] Je ne saute pas dans des cerceaux, je ne tire pas de traineau, je ne donne même pas la patte et je me couche et me lève quand bon me semble. Mais je rends la vie plus belle, je tire volontiers mes petits d'hommes pour leur faire gravir des sommets, je réchauffe celui qui a froid, je suis pleine de sollicitude pour celui qui a du chagrin et quand les petits d'homme n'étaient que des nouveau-nés vagissant, je mettais un point d'honneur à arriver la première au berceau quand ils pleuraient. Est-ce si inutile que cela ? Alors certes, je n'irai pas chercher votre balle mais j'ai tellement plus à proposer à ceux qui acceptent de jouer selon mes propres règles.

De mon côté, je me suis un peu préparé à cette interview en me renseignant sur le chien-loup de saarloos et j'ai pu lire qu'il constituait une régression dans le processus de domestication. Qu'en penses-tu ?

Ca ne fait pas l'ombre d'un doute. La question est : est-ce une bonne chose ? J'ai tendance à penser que oui. La "petite" a appris pendant ses leçons de mathématiques que "moins par moins, ça fait plus", eh bien c'est exactement ça. Régresser dans ce processus de domestication qui atteint aujourd'hui des extrêmes inquiétants, ce pourrait bel et bien être une évolution selon moi.

Quel regard portes-tu sur les chiens ?

Je vais rester prudente dans mes propos. Le chien est si proche de vous depuis si longtemps que c'est un sujet sensible et ma compagne me reproche souvent mon manque de tolérance à l'égard des différentes races canines. C'est comme s'il y avait eu trop de services rendus, trop d'amour donné entre l'homme et le chien pour vous permettre d'avoir un regard lucide et objectif sur ce que vous avez crée... J'avoue que j'ai parfois mal quand je vois ce que l'homme a fait au loup, en l'exterminant d'une part, en le modelant aussi bien physiquement que psychiquement d'autre part. La mort me semble préférable à certaines de ces "transformations". Mais je ne vous apprends rien que vous ne sachiez déjà... Moi ce qui me frappe de temps à autre dans ces rencontres avec d'autres chiens, c'est leur degré d'acculturation, la pauvreté de leur langage, leur méconnaissance des lois naturelles. C'est que beaucoup mènent des vies par trop humanisées, privés qu'ils sont de nature et de liberté, de compagnons canins comme du souvenir de leur mère ou de leur meute. Mon programme me dit alors "tuer le faible pour renforcer le vivant"... Mais étrangement, j'admire votre capacité, vous les humains, à protéger la veuve et l'orphelin, à prendre soin des plus vulnérables d'entre vous. D'ailleurs, c'est un concept que je comprends aussi dans l'esprit de la meute. Vous voyez, c'est peut-être cela être mi-chien mi-loup. Ces deux aspects doivent cohabiter en moi, comme la paix et la colère. J'ai été longtemps en colère, maintenant il est peut-être temps de faire place à la paix.

Pourtant à te voir, on n'imaginerait pas toute cette rage... Et à t'entendre on pense aussitôt au film Mononoké et à Moro la louve !

C'est qu'il ne faut pas se tromper sur la vraie nature de la douceur qui n'a rien de mièvre. Nulle n'est plus dévouée ni plus redoutable à la fois que la mère-louve. Ma patience est sans limite avec mes petits d'homme et je ne suis jamais aussi heureuse que lorsqu'ils viennent se nicher dans ma fourrure. Je suis leur préférée. Ils savent qu'ils n'ont rien à craindre de moi. Mais c'est vrai, l'outrecuidance de certains chiens qui tiennent davantage de la proie que du loup me hérisse. Alors ma compagne me désarme et me sermonne, me rappelle les lois du monde des humains, mais au fond elle ne me reproche rien. Elle comprend. C'est qu'à ses oreilles, l'appel de la forêt, de la désobéissance et de la solitude tient davantage du rugissement que du murmure. C'est pour cela qu'elle plonge parfois son visage dans ma fourrure sans rien dire. Ensemble, nous ne sommes plus seules. C'est ça l'Esprit de la Meute.

Pour découvrir les interviews de nos deux autres chiens-loups de saarloos, c'est par ici :

http://blog.mnd-elevage-paint-horse.com/?p=1813

http://blog.mnd-elevage-paint-horse.com/?p=1023

Commentaires

  1. Yañig

    septembre 17

    Que dire à part magnifique !
    Ce texte pénétre au plus profond de moi pas seulement une résonance à mon coeur Mais m'a pris aux tripes
    Tellement proche de se que semble m'avoir exprimé mon compagnon et si proche également de ma vision.
    Merci Atala et à ta compagne de vif

    • titania

      octobre 6

      Merci Yvette ! J'ai pourtant hésité si longtemps à partager ce texte, je n'étais pas sûre qu'il serait compris, je suis heureuse de voir que je m'étais trompée !

  2. Louwaï

    septembre 17

    Bonsoir Atala,

    Ton " interview me remue les tripes ! Tu décris exactement ce que je ressens mais avec des mots tellement magiques, émouvants et justes que moi-même je n'aurai jamais réussi à exprimer. Je suis une jeune eurasier gris - loup (on fait ce qu'on peut ! ) de 22 mois, hé oui, j'ai encore tellement à apprendre de la vie , mais l'appel de la forêt, de la chasse , l'ivresse de la poursuite, ça c'est bien ancrée en moi et tous les jours , avec compagne de vif comme tu le dis si bien, on fait de longues balades en montagne.
    Je cours, je saute, je vole, libre et heureuse. Je chasse les biches, les cerfs, les renards, mais uniquement pour le plaisir de la course-poursuite, l'instinct de tuer pour manger c'est perdu en moi ( faut dire que la cantine est bonne à la maison ! ) bon, j'avoue.. j'ai déjà dégommé nombre de souris et mulots mais c'est que c'est fragile ces bestioles là!
    Les gens ne connaissent pas ma race et demandent régulièrement à ma compagne , à quoi je sers... et elle répond :
    À rien ! Elle est là juste pour le bonheur qu'elle nous procure , pour sa beauté, pour partager sa joie de vivre , réveiller en nous notre part " d'animalité primitive" .

    Je suis heureuse de sa réponse car je ne suis pas considérée comme un chien de cirque et qui doit être aux ordres, obéissant, servile et soumis comme nombre de mes congénères.
    Je suis libre, fière, indépendante et aimante et tellement aimée et respectée en retour par ma compagne et son compagnon à deux pattes.

    Je te salue bien ma " sœur " en " sauvagerie"
    Louwaï

    • titania

      octobre 6

      Oh Louwai, comme j'ai été émue de te lire, de découvrir que les chiens-libres n'ont pas disparu, que j'ai encore des frères et des soeurs dans ce monde !
      Atala

  3. Angélique Biller

    septembre 18

    Wow... Bouleversée, émue aux larmes et saisie aux tripes par tes mots merveilleux, Atala...

    Merci de nous reconnecter par ta Présence et ta Sagesse au Vif qui se mourait en nous par notre ignorance.

    Bien des gens font le même "procès" à la Beauté que ces mots stériles que tu as entendus "à quoi sert-elle ?" Et pourtant, de même que la Présence d'Êtres tels que toi, je reste persuadée que c'est la Beauté qui sauve le Monde...

    • titania

      octobre 6

      Angé, si j'avais imaginé un tel accueil, une telle comprehension, atavique, viscérale, instinctive !
      Oui la Beauté sauve le monde,
      XXX

  4. Océane

    septembre 18

    Quelle interview! Très heureuse d en savoir plus sur toi chère atala! Les personnes qui t entourent ont beaucoup de chance de t avoir...de vous avoir!!!

    • titania

      octobre 6

      Merci Océane, hi hi oui elle a de la chance, elle ne serait pas aussi entière sans moi,
      Atala

  5. Auriane

    octobre 4

    Très beau texte. Merci à Atala pour ce doux partage. J'aime beaucoup l'expression "compagnon de vif", j'essaye de me voir comme une compagne de vie plutôt qu'une maîtresse, après tout j'ai déjà du mal à être maître de ma vie ce n'est pas pour être maître de celle des autres :).
    Je vois également beaucoup Jawbreaker, mon Laika de Yakoutie, dans les dires d'Atala et cela me fait sourire.

    • titania

      octobre 6

      Oh Atala se découvre plein de frères et soeurs à travers le monde, je suis sûre qu'elle se réjouit !
      Oui le vif existe, il y a des moments troublants où on ne peut l'ignorer...

  6. Coraly

    octobre 21

    wahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh.
    texte profond rempli de sens , qui fait voyager au creux de soi merci par ce qui a bouleversé au moins le temps de la lecture mes tripes!
    Merci du voyage

    • titania

      novembre 1

      Oh merci pour ce commentaire plein de sincérité et de spontanéité !

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