Dernier Soleil couchant sur l’Atlantique

Dernier Soleil couchant sur l’Atlantique


"On peut considérer le Vif comme l'acceptation par la personne de sa propre nature animale, d'où la conscience de l'élément d'humanité que chaque animal porte en lui aussi. La légendaire loyauté qu'un animal ressent pour son compagnon de Vif n'a rien à voir avec celle qu'une bête éprouve pour son maître ; elle est plutôt le reflet exact de la fidélité que l'individu doué de Vif a jurée à son animal." - Robin Hobb

"Some days I am more wolf than woman, and I am still learning how to stop apologizing for my wild" - Nikita Gill

"There are no foreign lands. It is the traveler only who is foreign." avait écrit Robert Louis Stevenson. Après l'Algarve, nous avions sagement reflué vers le nord et le lendemain nous trouvait de retour près des belles criques de Samouqueiro. Las, nous étions déjà à la mi-avril et ici aussi la pression touristique allait s'accentuant, tandis que nos contacts avec les portugais étaient de plus en plus froids et distants... Comment leur en vouloir ? Ils subissaient une véritable invasion sur leurs côtes, les pêcheurs locaux ne trouvant même plus à garer leurs petits véhicules pour profiter de la marée basse... Et avec nos boucles blondes et nos yeux clairs, impossible de faire illusion, autant brandir une pancarte "attention touristes". Nous n'en avions pas encore conscience, mais au fond de nous nous commencions à ressentir l'urgence du départ, l'appel du Nord et des terres sauvages. Nous vivions nos dernières journées au Portugal et nos derniers soleils couchant sur l'Océan Atlantique.

 Toujours en quête "d'interstices" (S. Tesson), nous avions courageusement emprunté avec notre Château-Ambulant une piste sablonneuse qui s'éloignait des criques -et des foules !- tout en longeant la côte du haut des falaises. C'est ainsi que nous avions découvert à un carrefour, une piste secondaire sans issue au bout de laquelle nous nous étions installés. Devant nous l'Océan, et partout des fleurs blanches, roses, jaunes - et notamment des tapis d'hélichryses des sables - qui célébraient le printemps avec autant d'enthousiasme que les mouettes et les hirondelles qui frôlaient notre campement. Enthousiasme par ailleurs contagieux ! A quelque distance, paissait un troupeau mixte, chevaux et autruches, après tout pourquoi pas ? Et chaque matin, un petit bateau de pêche longeait la côte avec dans son sillage un nuage de mouettes hystériques tandis qu'un cormoran, dressé sur son rocher, étendait ses ailes noires au soleil. Mallory s'était empressé de ramasser tous les vieux détritus abandonnés autour du camp pour mieux renouer avec le génie du lieu et ces derniers jours furent très doux à simplement partager nos lectures, à placer nos petits papiers dans la boîte-à-vœux (cf article suivant !), ou encore à célébrer avec un feu de camp et une bouteille de vino verde notre premier mois de voyage. Le bois flotté glané sur la plage crépitait. J'étais dans les bras de Yoann, Milan couché sur mes genoux. Callista avait opté pour une soirée contes du monde, et elle nous lisait à la lumière des flammes un conte écossais qui narrait l'histoire d'amour d'une fée. Une fée qui s'appelait Titania.

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Mais, merveille des merveilles, nous avions déniché à force d'explorations une crique minuscule et isolée accessible seulement par une petite échelle de pêcheur (et un peu de désescalade pour les chiens-loups !). Là, point de sable blanc mais une plage de galets battue par les vagues. Les plus petits, mouillés par la houle, faisaient comme des pierres précieuses tandis que les plus gros ressemblaient à autant d'œufs de dragons. Leurs couleurs et veinures uniques laissaient présager là des écailles rougeoyantes, là des ailes mordorées veinées de brun. Et que dire de leur chant ! Ah la chanson des galets qui s'entrechoquent massés par le flux et le reflux de l'Océan, chanson à nulle autre pareille, musique délicieuse et vieille comme la Terre. Nous écoutions là rien moins que l'éternel chant du monde. Avec les galets, nous improvisâmes des ateliers de land-art, créations éphémères vouées à s'effacer avec la prochaine marée mais oh combien satisfaisantes pour l'âme. Puis nous nous asseyions à nouveau sur la grève, absorbés dans la contemplation de l'Océan en train de se retirer, dévoilant ses roches et ses secrets : vous êtes-vous déjà émerveillé de la magie des marées, de ce pouvoir de la Lune capable d'attirer à elle les Océans ? Les marées ou la respiration du monde... Comme pour se mettre au diapason de ce souffle, Mallory était à nouveau nu. Nu pour s'aventurer dans les vagues. Nu pour escalader les rochers avec les chiens-loups. Nu pour se livrer au vent là-haut. Comme si son maillot lui semblait toujours de trop. Qu'importe. Du sommet de ces mêmes rochers, Diurach guettait languissamment Yoann qui faisait de la plongée, puis n'y tenant plus il affrontait courageusement la houle pour le rejoindre, loin, très loin au milieu des flots. C'était des jours vraiment heureux.

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A cette période, j'étais toujours plongée dans ma lecture des Treize Mères Originelles (La voie initiatique des femmes amérindiennes par Jamie Sams) et cette lecture imprégnait aussi bien ma perception du monde que mes rêves. Quelques temps plus tôt, ma fille Callista avait trouvé une pierre percée naturellement et de ce fait, j'avais été particulièrement attentive à ce passage du livre : "Gardant les yeux clos, Celle qui Parle à ses Proches toucha doucement et paisiblement un Être de pierre qu'elle avait attaché autour de son cou par un lien. La pierre était naturellement trouée grâce à l'érosion de l'eau qui avait coulé sur elle pendant de nombreux Jours et Nuits. Le nom de cet Être de Pierre était Oneo ou Chanson. Cette Pierre de Médecine était spéciale : elle n'arrêtait pas de chanter pour lui rappeler tout ce que son cœur avait éprouvé et tout ce dont elle avait fait l'expérience, la ramenant à l'histoire qu'elle était en train de créer avec sa propre vie. Le trou naturel dans le corps d'Oneo était le signe que cette pierre était une pierre de protection. Etant donné que ce trou avait été fait par l'eau, la Pierre aidait Celle qui parle à ses Proches à rester en contact avec ses sentiments et à être consciente d'un éventuel danger. Dans le corps de Celle qui Parle à ses Proches, il y avait les mêmes minerais que ceux qui constituaient les pierres ; Oneo l'aidait à rester en harmonie avec le battement de cœur de la Terre-Mère."(p. 67) Quelques jours plus tard, je trouvais une de ces pierres au milieu des galets de la crique secrète. Et comme je la portais nuit et jour, la silhouette d'un loup vint éventuellement s'y dessiner.

Je faisais ensuite un rêve étrange et pénétrant : je rêvais que je suivais un sentier montagneux qui menait à une falaise formant un cirque naturel. Je m'allongeais à plat-ventre sur la roche plate pour regarder en contrebas dans le cirque, avec l'impression de plonger en réalité mon regard à l'intérieur de moi-même. Dans la plaine herbeuse, partout des chamois, de jeunes cabris et des mouflons aux belles cornes annelées mais une seule chose retenait mon attention : le tête-à-tête, au centre du cirque, d'un aigle pêcheur et d'un grand loup noir. Depuis toute petite, l'aigle américain symbolisait pour moi le Grand Esprit (merci Derib !). Quant au loup, il était l'animal qui inspirait et guidait ma conduite et chacun de mes pas. Peut-être est-ce le genre de chose qui arrive quand on passe trop de temps en symbiose avec un chien-loup tel qu'Atala, souvent plus louve que chienne. Je revenais une seconde fois en ce lieu rond, sauvage et fécond pour y découvrir cette fois-ci un oiseau immense, vraisemblablement un rapace, aux plumes chatoyantes, d'un rouge et d'un bleu profonds presque sombres. "To travel is to take a journey into yourself" écrivait Mark Twain, il ne se trompait pas.

Epilogue : Un matin, un coureur vint malgré tout à passer près de notre bivouac. Fidèle à elle-même, Alanis se mit à le suivre discrètement, nez au sol et silencieuse, à tel point que l'homme ne s'aperçut de rien bien qu'elle fut à quelques centimètres de lui à peine. Je criai aussitôt son nom pour la faire revenir. M'entendant appeler, l'homme se retourna. A partir de là, tout alla de travers. De surprise et de peur en découvrant la petite chienne sur ses talons, il dévia de son chemin et manqua de trébucher dans les buissons. Et au même moment, je le reconnus avec désespoir : c'était l'homme qu'on avait déjà retrouvé caché derrière un buisson l'autre jour (cf article précédent). Cette fois-ci il ne cria pas à la police, mais il y a des silences qui sont parfois pires. Je crois que c'est à cet instant-là que nous avons entendu notre envie de partir, de quitter le sud surpeuplé et de remonter vers les terres du nord, vers l'Ecosse. Il ne nous fallut pas longtemps pour plier le camp et se mettre en route. Les premiers kilomètres nous firent longer de douces plages peuplées de gens en vacances, et de la fenêtre je regardais défiler  ces familles "normales", entendez "sans chiens-loups", avec presqu'une pointe d'envie. L'impression de contempler un autre monde. Un monde qui nous était interdit, que nous avions quitté sans espoir de retour. Cette sensation que nous nous éloignions doucement et sûrement de l'humanité mais que nous le voulions bien. A vivre aussi intensément tous les huit ensemble comme les membres d'une seule et même famille dans des lieux toujours plus sauvages, risquerait-on de devenir chaque jour un peu plus loup et un peu moins homme ? Déjà les deux petits derniers de la famille, Milan et Alanis se chamaillaient et se chahutaient comme deux enfants ou comme deux chiots je ne sais pas, en tout cas comme deux frères et sœurs. Mais la plage et les familles insouciantes disparaissaient déjà dans le rétroviseur et je me tournais résolument et joyeusement vers l'avenir : "I see my path, but I don't know where it leads. Not knowing where I'm going is what inspires me to travel it." - Rosalia de Castro.

 

Commentaires

  1. Angélique Biller

    juillet 23

    Wow!!! Comment dire... ? Là, il m'a semblé, même à des centaines de kilomètres du Portugal et quelques mois de délai après, d'être téléportée près de vous... Entre les galets et pierres percées - comprenant des Êtres Pierres-, le cheminement intérieur et les rêves, les oeufs des Dragons , le land art, le contact "sans concession" avec l'Océan - et les foules!- , la boîte-à-voeux, les enfants, et les chiens-loups, le tout à travers ton récit et tes photos, j'ai eu une sensation assez vertigineuse de "saut quantique"... MERCI!!!

    Si tu fais un livre avec tous tes textes et tes photos, je serai infiniment heureuse de le commander en plusieurs exemplaires (pour moi et pour offrir!)! Jack London & Family version 2.0!!! Rhô, j'ai vu un magnifique reportage sur l'Anarchisme hier soir et ai appris avec délice que beaucoup de mes héros (dont Jack London!) s'en revendiquaient - je le suis depuis toute petite! 😉

    • titania

      juillet 27

      Oh j'adore toujours autant tes commentaires ! Va pour la version 2.0 ! Merci de croire en moi... Et c'est si bon de se sentir comprise quand on écrit, il paraît que "raconter une histoire, c'est vérifier sans cesse que l'on n'est pas seul au monde". (Henri Gougaud)

  2. Angélique Biller

    juillet 23

    Oh, et les autruches qui paissent avec les chevaux! Juste merveilleux! <3

    • titania

      juillet 27

      Oui hein 😀 ! Super les autruches ! Après tout entre herbivores...

  3. Océane

    juillet 23

    Angélique je suis d accord avec toi!! Si un jour il y a un livre (ou plusieurs😉ce que je souhaite et espère! !!) Je serai aussi très très intéressée c est un pur bonheur de te lire! La pierre c est un signe !!!!😉 un clin d oeil de la vie! Je sais pas si vous devenez loups peut être qui sait! Mais je pense aussi que en comparaison avec les familles "normales" vous avez renoué avec la nature et en découle pas mal de choses, votre vision n est plus et sera plus la meme❤

    • titania

      juillet 27

      Il y a tant à dire de notre aventure auprès des chevaux et tant que je n'ai jamais osé dire... Ce sont les chevaux qui me donnent envie d'écrire et de partager tout ça. Merci de croire en moi ! Qui sait, peut-être un livre verra un jour le jour 😀 ?

  4. Auriane

    juillet 29

    Un partage très profond comme toujours. Il n'y a jamais de hasard, cela a été ma pensée lorsque vous avez trouvé cette pierre après votre lecture. Des petits signes qui nous montrent la voie à suivre ou tout simple des signes qui nous montrent que nous sommes sur la bonne voie.
    Il y a beaucoup de choses que je vois différemment de mes connaissances/amies tout simplement parce que la voie que j'ai choisi est différente de la leur, et lorsque vous dites : " Les premiers kilomètres nous firent longer de douces plages peuplées de gens en vacances, et de la fenêtre je regardais défiler ces familles "normales", entendez "sans chiens-loups", avec presqu'une pointe d'envie. L'impression de contempler un autre monde. Un monde qui nous était interdit, que nous avions quitté sans espoir de retour. Cette sensation que nous nous éloignions doucement et sûrement de l'humanité mais que nous le voulions bien." C'est exactement ce que je ressens. Je m'éloigne du monde tel qu'il l'est pour me recentrer et découvrir un nouveau monde parfois dur mais instructif et merveilleux. Je perds malheureusement mes amies parce que comme vous l'avez dit dans l'article précédent (concernant le couple que vous avez photographié) elles ne voient pas l'océan tel que je le vois ou encore la nature, la vie.
    Merci de nouveau pour ce partage et ces citations (me voilà à la recherche du livre "La voie initiatique des femmes amérindiennes"). Merci.

    • titania

      août 1

      Merci Auriane, c'est un article qui me tenait particulièrement à cœur. Oui pas de hasard, ou plutôt comme disait Einstein (je crois), le hasard c'est Dieu qui se promène incognito... Et tu as dû le remarquer, une fois qu'on devient attentif à ces signes et ces synchronicités, on voit qu'un vrai dialogue s'instaure avec la vie, c'est assez bluffant !
      Je te souhaite plein de courage sur ton chemin ! Et je ne doute pas que tu feras de nouvelles rencontres qui te ressembleront davantage !

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