Des glaciers qui craquent et qui grondent, des dauphins qui ondulent et qui dansent et des aurores boréales qui font de même : en somme, une journée normale en Norvège.

"Un sourire est l'étirement extérieur et mystérieux d'une sensation intérieure et nette. Un sourire est une onde." Charles Dantzig

 28 septembre 2017 - En route vers la côte ouest. Nous traversons les derniers grands plateaux, habités par les éternelles maisons du peuple des rennes et les plus grands troupeaux qu'il nous a été donné de voir jusqu'à présent. Puis nous retrouvons les fjords et les montagnes qui plongent leurs racines dans la mer. C'est objectivement spectaculaire, néanmoins quelque chose dans l'énergie a changé. Ce n'est plus la même que celle des franges de l'Arctique ou que celle des rudes plateaux que nous laissons derrière nous. C'est davantage peuplé, davantage civilisé, davantage touristique - même si tout est relatif dans ces contrées. Tout-à-coup, j'en viens à regretter les terres âpres et indomptées que nous avons eues pour maison ces jours derniers. Et curieusement, il fait plus froid.

29 septembre 2017 - Randonnée au glacier Oksfjordjokolen. Je redoute un coin touristique mais le parking est désert et nous ne croiserons personne de la journée. Le soleil brille toujours, le ciel est d'un bleu profond et les montagnes plongent dans le fjord ; le glacier qu'on aperçoit au loin vient lécher la surface de l'eau. Le sentier est encombré de pierres lisses et glissantes ce qui rend la marche mal aisée, et est traversé de nombreux rus qui se précipitent tous vers la mer, ce qui rend le sol boueux. Mais l'effort en valait très largement la peine ! Nous nous installons sur un promontoire rocheux, au bord du fjord, face au glacier qui craque et gronde comme le tonnerre en personne ; une clameur assourdissante dans cette immensité.

Et alors commence le bal des dauphins : un, puis deux, puis trois, ils sont de plus en plus nombreux ! L'un d'eux nous gratifie d'un bond joyeux à deux pas de la rive mais la plupart du temps ils préfèrent onduler avec grâce dans cet écrin aux couleurs de l'été indien, soufflant leur "vapeur" dans la lumière tamisée d'une après-midi d'automne. Ils étirent la surface de l'eau et nos visages, laissant là des ondes concentriques et ici des sourires émerveillés. La Norvège, ce pays où tous les rêves se réalisent : passer la journée à regarder danser les dauphins et à écouter les glaciers gronder avant de rentrer pour le ballet des aurores boréales. Les enfants sont extatiques. Milan s'assoit près de moi : "Je me sens bien ici maman." Mallory s'imaginerait bien vivre là. Mais parallèlement, je me rends compte qu'ils s'habituent en quelque sorte à toute cette beauté et à cette vie en immersion dans la nature. Ils s'habituent au poids de leurs petites kuskas autour du cou (tasse qui leur permet de boire à l'eau des torrents chaque fois qu'ils ont soif), à ces rencontres quotidiennes avec les animaux des hauts plateaux, des nuées et des mers, et à ces rendez-vous avec les aurores qui bercent leur sommeil. Mais en fin de compte, je me réjouis qu'ils soient encore assez jeunes pour trouver toute cette vie "normale".

Fin de journée, nous avons choisi de camper près d'un petit lac au milieu de nulle part. Nous sommes souls de grand air, avons des étoiles et des dauphins plein les yeux et il nous semble à Callista et à moi qu'étudier les relations entre fonctions et proportionnalité serait vraiment déplacé ce soir ; les mathématiques attendront bien le lendemain. Les deux garçons sont encore plein de belle énergie et retournent dehors, dans le froid saisissant, sans même prendre le temps d'enfiler un blouson. Ils entreprennent de se fabriquer une cabane puis de trouver des pierres pour leur foyer et du bois pour leur feu ; bientôt les voilà en train de discuter, confortablement assis autour de leur propre feu de camp.

A la nuit tombée, les aurores nous rejoignent et les esprits de la nature semblent s'adresser à Callista : d'étranges pégases et d'incroyables dragons apparaissent sur ses photographies. Simples paréidolies ou véritables manifestations ? En fin de compte, là n'est peut-être pas la véritable question...