Hors du temps
25 mars 2017
Désormais, nous ne quitterons plus l'Océan. Nous longeons la côte, depuis Cabo Fisterra en direction du Portugal. La route traverse de grandes forêts d'eucalyptus, leurs troncs multicolores sont des œuvres d'art. Nous trouvons un campement près d'un estuaire pour passer la nuit. Mais nous apprendrons très vite à nos dépends que nous ne sommes pas les seuls à rechercher des coins tranquilles : toutes sortes de commerces prennent place une fois l'obscurité tombée ! Cette fois-ci ce sera de l'électro à plein volume, les basses raisonnant dans ma poitrine ! A chaque campement sa musique, ici ce n'est plus le rire des mouettes mais le Poum-dac-tac, poum-dac-tac, tagadagadagadagada, poum-dac-tac, poum-dac-tac, poum, poum, poumpoum... silence... espoir... et à nouveau poum-dac-tac... tout au long de la nuit. Cette rengaine restera dans notre tête trois jours durant et on se la rappelle encore aujourd'hui ! Le tout accompagné du va-et-vient incessant de voitures faisant demi-tour la plupart du temps en frein à main, dans un terrible crissement de pneus. A chaque fois, je retiens ma respiration, redoutant l'impact du bolide contre notre maison mobile... mais rien ! Le lendemain matin, à la lumière du jour, nous faisons contre mauvaise fortune bon cœur, et reprenons la route vers le sud en quête d'une plage sauvage où nous installer quelque temps.
26 mars 2017
Enfin ! Nous sommes au Portugal et accostons en fin de journée à une plage immense et déserte, frappée sans relâche par des vagues tumultueuses et assourdissantes d'un bleu sombre et opaque. Il faut vous imaginer la joie des enfants mais aussi celle des chiens-loups, ivres d'embruns, d'espace et de liberté. J'ai le cœur équarri de bonheur. Face à l'Océan, je prends de plein fouet le même choc qui m'a déjà assailli au pied de sommets immaculés ou sur les marges de déserts infinis. C'est presque douloureux.
Mais soirée difficile : le sable s'est immiscé partout dans le camping-car et de plus la pluie s'est mêlée de la partie. L'odeur de chien mouillé imprègne notre intérieur et nous ne savons que faire de nos vêtements trempés. En fin de compte avec un peu d'organisation, un bâton d'encens et le sifflement de la bouilloire, on retrouve rapidement un sentiment de bien-être. La pluie bat les vitres, le vent secoue le camping-car et l'Océan gronde. Mais à l'intérieur il fait chaud et sec, et un sentiment délicieux m'engourdit peu à peu. Les soirées sont douces à discuter, chanter ou lire... Et l'Esprit de l'Océan est toujours là.
27 mars 2017
Nous continuons de longer la côte en direction de la plage de l'Os de la Baleine, Praia Osso da Baleia. Nous empruntons enfin une petite route prometteuse, mais lorsque celle-ci émerge de la forêt, c'est pour dévoiler une usine démesurée et nauséabonde. Mi-déçus, mi-dubitatifs mais toujours plein d'espoir nous continuons de suivre la petite route défoncée en direction de l'Océan et quelle n'est pas notre stupeur lorsque nous débouchons dans cette petite ville sortie de nulle part ! Toutes les maisons y sont semblables, petites et toute de béton, accolées les unes aux autres, visiblement destinées à loger la main d'œuvre de l'usine. On est bizarrement dévisagés, notre camping-car semble déplacé dans ce lieu, parfois des volets se claquent sur notre passage, quelques chiens déambulent dans les rues, et nous nous garons finalement sous le regard pesant de jeunes portugais désœuvrés. Notre malaise va croissant. Mais il y a effectivement une grande plage déserte... jonchée de détritus. C'est comme une claque : l'Océan est malade. Comme si ça n'était pas encore suffisant, nos trois bandits aperçoivent à ce moment-là un de ces petits chiens en vadrouille et se lancent à sa poursuite (puis Yoann à la leur !) ! Le petit chien entraîne les nôtres dans un dédale de ruelles, jusque dans des bâtiments peu engageants, hurlant tant et plus et attirant avec son vacarme toute la population locale. La pression monte encore d'un cran et le retour des chiens n'y fait rien. Posant son regard sur nos chiens-loups et Yoann, une vieille portugaise toute de noire vêtue et portant des bottes de caoutchouc et un châle, lancent ses imprécations. Conscients du regard de moins en moins amène posé sur nous, nous décidons de déguerpir sans demander notre reste ! La clef tourne, le moteur ronfle, je commence à respirer... mais le camping-car ne bouge pas d'un pouce : nous sommes ensablés ! J'évite de croiser les regards qui nous dévisagent. Je ne respire plus, je prie ! Les minutes s'étirent. Le temps s'immobilise. Faites qu'on sorte de là, faites qu'on sorte de là ! Et enfin, le camping-car s'extraie de son lit de sable. Mémo pour plus tard : se rappeler que décidément un camping-car n'a pas du tout les mêmes facultés qu'un pick up. Nous prenons la fuite. Ici il n'y a que la mort : la mort de la Nature, la mort de l'Océan, une ville sans âme, et une humanité en détresse...
Faute de savoir où aller, nous reprenons la direction du sud et miracle, notre plage est alors indiquée ! La route change aussitôt : de défoncée, elle devient impeccable (tourisme oblige...), et sinue au milieu de la pinède, bordée d'une charmante piste cyclable. Et nous découvrons alors une plage littéralement merveilleuse, la plage de l'Os de la Baleine, dissimulée derrière des dunes de sable clair et parsemées de petites fleurs colorées qui s'épanouissent dans cet univers aride, salé et mouvant. Une vraie leçon de vie que celle de ces courageuses petites plantes ! Et à perte de vue, une plage déserte et préservée. L'enthousiasme est de retour. C'est beau, trop beau pour les mots. J'ai enlevé mes chaussures (les chaussures semblent toujours déplacées quand on marche sur une plage) mais Mallory est déjà tout nu. Le moindre vêtement lui semblait de trop. Et le voilà fou de joie qui court, qui court sans relâche dans les vagues, qui ne fait plus qu'un avec l'Océan. Immergés dans cette nature puissante, les enfants se reconnectent sans mal au Grand Mystère.
La journée touche déjà à sa fin. On ouvre des bières locales et parfumées aux aromates, assis sur le ponton de bois. On ne se lasse pas de regarder les chiens se faire surprendre par les vagues et la marée et prendre une expression affolée puis outrée lorsque la houle tente de les submerger ; ils apprendront. Les enfants courent toujours, sans relâche. Le disque solaire s'embrase et se dilate en s'abîmant vers l'horizon. Et sombre doucement dans l'Océan. Un homme du coin arrive et s'arrête pour échanger quelques mots avec nous en anglais. Avant de partir, il nous recommande d'être prudent : selon lui ce n'est pas sans risque de camper dans des lieux aussi isolés que celui-ci. Puis nous sommes à nouveau seuls.
Finalement, nous passerons une nuit sans incident, la plus tranquille depuis longtemps. Peut-être est-ce justement lorsque l'on est loin de tout que l'on est le plus en sécurité. Et puis, on a Diurach qui monte toujours la garde devant la porte et sait se montrer dissuasif. Une nuit cependant un bruit de moteur me réveillera en sursaut : qui peut bien venir dans ce lieu reculé à cette heure ? Mais ce n'est que la police qui fait une ronde. Ils repasseront à plusieurs reprises au cours de notre séjour, toujours au milieu de la nuit. Je me rendors en me demandant si cela doit me rassurer ou m'inquiéter davantage. Et toute la nuit, le chant ininterrompu d'oiseaux qui se mêle à la rumeur de l'Océan.
28 mars 2017 et jours suivants
On se réveille avec le soleil et avant toute chose partons pour une petite promenade matinale avec les chiens. Les sentiers sablonneux sont doux sous les pieds. Partout des plantes inconnues, dont je ne connaitrai que le nom portugais ou latin, l'impression d'être sur une autre planète. Au fur et à mesure qu'on se rapproche de la plage, les pins se courbent et finissent par ramper sur le sol avec une détermination qui force le respect.
Nous décidons de rester quelques jours. Notre petit campement sous les pins est idéal, et un petit sentier de sable le relie à la plage, immense et déserte. Seul bémol, de dangereux courants interdisent de se risquer à la baignade. Sous le bosquet ombragé qui nous abrite : une pile de livres, du chocolat, du thé. Un ours en peluche géant assis contre le tronc rugueux d'un pin. Milan tout nu en train de croquer dans une pomme avec gourmandise. Il y a des jours que je n'ai pas porté de chaussures en dépit des kilomètres parcourus. La même chose pour les enfants. Je me rappelle ce vendeur de chaussures qui m'avait fait la morale parce que mon petit bonhomme commençait à marcher en mocassins et de me vendre les mérites de ses chaussures rigides, montantes et hors de prix pour maintenir la petite cheville et le petit pied. Je souris en regardant ces petites chevilles aujourd'hui bien solides et ces petits pieds nus qui courent sur les galets. La nature a tout prévu.
J'avais prévu de faire plein de choses avant de partir : j'avais plein de lecture en retard, je voulais m'atteler à nouveau à l'écriture de mon livre, méditer, faire du sport... et je me retrouve simplement là, à laisser mon regard errer sans fin sur le ressac, comme envoutée par son rythme incessant. Envie de ne rien faire. De me ficher la paix. D'être en paix. Je n'ai même pas la force d'ouvrir un roman de science-fiction. Il n'y a plus d'horaire. Le réseau est très aléatoire. Je perds le compte des heures et des jours. Tous ces chiffres qui rythment et tyrannisent notre vie. Je ne sais même pas la température qu'il fait, seulement que j'ai chaud mais que les nuits sont fraîches. Je ne sais pas non plus quel temps il fera demain et je ne m'en soucie pas. Encore des chiffres superflus. Je ne sais pas non plus ce qui se passe ailleurs. Il n'y a plus que l'ici et maintenant. Il n'y a plus que la Beauté à couper le souffle qui nous entoure. Et le grondement incessant de l'Océan. Chaque soir, nous avons rendez-vous avec le soleil couchant. Chaque soir il transmute l'océan en métal fondu et rougeoyant. Chaque soir il enfle démesurément avant de nous laisser au repos et de s'en aller éclairer d'autres lieux.
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alice piron
juin 19
C'est magnifique de vous lire et vous suivre sur les photos (magnifiques de surcroît), on se perd dans vos mots, on voyage avec vous et aimerions tellement oser faire ce pas également mais....
Voyagez pour nous, sans vous souciez du temps qui passe, le plaisir simple est tellement bon.
Bien à vous. Alice (ecila sevy norip sur fbk)
titania
juin 20
Bonjour, merci beaucoup d'avoir pris le temps de laisser un petit mot. ça donne une dimension supplémentaire au voyage de le partager et si ça peut inspirer le monde autour de nous à croire en ses rêves et à oser sortir des sentiers battus, alors c'est gagnant-gagnant !!
SUBTIL
juin 19
Toujours un régal de voyager avec vous.....
titania
juin 20
Merci !!
camille
juin 19
Exactement la petite lecture qu'il me fallait!
De la fraîcheur marine, à la description du temps présent, sans se soucier du lendemain... et puis la météo!! AHAHAHA!! C'est vraiment tout ce que je subit au quotidien!! Les chiffres, les ventes, le temps qu'il va faire , les quantités de légumes, la rentabilité, de la planification!!
Ça m'a fait un bon bol d'oxygène de t'avoir lue! Merci!
titania
juin 20
Ha ha, merci pour ton message Camille ! Je te souhaite plein de courage pour la suite et surtout plein de bonheur auprès de ton jardin <3
CMART
juin 19
whaooo...magnifique....et les photos sont absolument merveilleuses....filled with emotions and serenity...♥♥
titania
juin 20
Merci beaucoup <3
Océane
juin 19
Oh non c est déjà la fin!!!!
Merci pour toutes ces photos! L océan me manque terriblement...
titania
juin 20
Bientôt la suite des aventures ! Ah l'Océan, ça a vraiment été une rencontre incroyable pour nous, passer un mois à ses côtés, toujours à portée d'oreille, sinon de la vue. Je crois que c'est un peu comme pour les Aurores Boréales, loin de lui, loin d'elles, le cœur se languit de les revoir...
Auriane
juin 20
C'est toujours un plaisir de vous lire et d'admirer vos magnifiques photos.
Vous nous emmenez vraiment avec vous et je vous en remercie. Merci de conter les mauvaises situations qui finalement laissent apparaitre de sublimes situations si on y croit, si on continue d'avancer.
Vos photos transcrivent parfaitement bien vos mots, on peut voir la joie, l'amour et la beauté de votre famille, des lieux que vous découvrez. Merci.
titania
juin 20
Oui ce ne serait pas très fair-play de laisser croire qu'en voyage il fait toujours beau, qu'on sait toujours où bivouaquer et que tout se passe toujours pour le mieux ! Et puis avec le recul, ça fait parfois des moments inoubliables !! Et que dire si ce n'est que c'est bien plus qu'un voyage : c'est vraiment un chemin vers une autre façon de voir, pour nos enfants une ouverture sur le monde, les problématiques sociétales et/ou environnementales sont partout et c'est cela aussi qu'on est amené à voir en sillonnant les routes.
Thilda Lehacque
juin 22
Depuis ma plus tendre enfance et les longs mois de juin sur la côte d'Opale, je suis fascinée par la laisse de mer, ce lieu entre deux mondes, lieu de pureté, de fraîcheur et de liberté où se reflètent les cieux ... C'est l'essence même ce ce lieu que tu as su capter dans tes photos ! Elles montrent ce que l'on y ressent au plus intime, ces jeux de lumière et ces corps transfigurés qui bondissent - ah ! cette photo d'empreintes, seule la pointe d'un petit pied s'est imprimée dans le sable !
titania
juin 22
Je n'aurais pas pu mieux dire... rien qu'en te lisant ça m'y a ramenée !!